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compte sur la désunion de la majorité, et sur l’antagonisme des provinces. Dans la lutte électorale qui va s’engager, le régent aura pour lui l’avantage qu’a toujours le pouvoir exécutif, celui de l’initiative et de l’unité d’action. Pendant trois mois, il va agir seul, sans le concours des chambres. L’opposition pourra-t-elle agir avec le même ensemble ? Les élémens de la majorité, une fois dispersés, se réuniront-ils dans les mêmes conditions ? En France, cela ne ferait pas question ; mais en Espagne, l’unité, la centralisation de l’esprit public, n’existent pas encore. L’Espagne est toujours un royaume de provinces ; Cadix, ni même Sarragosse ne veulent pas tout ce que veut Barcelone. Ainsi, cette fameuse loi sur les cotons, qui livre à l’Angleterre l’industrie de la Catalogne, ne soulèvera dans tous les cas que la Catalogne. Aussi tout l’effort de la répression a-t-il été dirigé vers les provinces du nord. Espartero, qu’on nous passe le mot, en a fait son deuil ; il ne s’est occupé que de les contenir et de les dompter, et il était si sûr de leur hostilité, qu’il ne s’est pas inquiété d’y donner une cause de plus. À ce projet de loi sur les tarifs, il est aisé de reconnaître la main du nouveau ministre des finances, M. Mendizabal. La réapparition de cet homme dévoué à l’Angleterre ne peut qu’augmenter la défiance de la France à l’égard du gouvernement actuel de l’Espagne, et le souvenir de ses antécédens ne peut inspirer non plus une parfaite confiance dans l’honnêteté de ses opérations financières. On se rappelle encore comment, en 1836, un emprunt de 100 millions, créé et autorisé pour opérer la conversion de 1834, fut employé, sous le ministère de M. Mendizabal, à d’autres usages non autorisés. M. Mendizabal ne paraît pas avoir renoncé à ses anciennes habitudes, car on annonce qu’il va employer le produit de la ferme des mines d’Almaden à subvenir aux nécessités pressantes du moment. Or, M. Calatrava, l’avant-dernier ministre des finances, avait pris l’engagement de consacrer cette portion du revenu à servir les intérêts du 3 pour 100, et M. Ayllon, son successeur pendant vingt-quatre heures dans le ministère de M. Lopez, avait ratifié cet engagement. Nous verrons comment l’Angleterre, si bien disposée pour M. Mendizabal, prendra cette nouvelle.

M. Mendizabal a encore pris une autre mesure plus singulière ; il a supprimé l’impôt sur les octrois. C’est se priver bien volontairement d’un revenu de 60 millions de réaux que cet impôt rapportait au trésor, mais c’est se populariser aux dépens des municipalités ou ayuntamientos, qui constituent le parti bourgeois opposé au parti militaire, et leur ôter en même temps une source considérable de revenu, et par conséquent d’influence. Maintenant, où M. Mendizabal trouvera-t-il de l’argent ? C’est ce que personne ne sait, c’est peut-être ce qu’il ne sait pas lui-même. Il a fallu l’assurance imperturbable de ce célèbre financier pour se charger du trésor de l’Espagne en ce moment. Il ne serait pas étonnant que l’impossibilité absolue de faire face aux besoins publics eût été pour beaucoup dans la répugnance que M. Cortina, M. Olozaga et M. Lopez ont successivement montrée pour prendre le pouvoir.

Ces évènemens, et surtout la pensée des malheurs et des catastrophes san-