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fort modeste apparence. Sous la première marche, une truie était couchée, allaitant quelques marcassins. À notre approche, cette progéniture s’effraya, se mit à geindre, se rua dans nos jambes ; nous dûmes livrer un assaut pour gagner l’escalier du père spirituel de l’île. Enfin, nous entrâmes dans une petite chambre blanchie à la chaux, entourée de divans, et décorée de lithographies représentant, dans ses différentes phases, l’arrestation du pape Pie VII. L’évêque est un vieillard d’une physionomie douce et grave. Il portait le simple costume de prêtre. Nous le trouvâmes assis devant une petite table chargée de livres. Il se leva et nous fit l’accueil le plus gracieux. Les visites sont trop peu communes à Tine pour n’y pas causer toujours une vive sensation. Nous voyant assis, le vieillard appela une servante, laquelle, par parenthèse, était fort jolie et n’avait sûrement pas la moitié de l’âge requis pour servir un évêque. Elle reçut un ordre, sortit, et presque aussitôt reparut, portant sur un plateau, suivant l’usage levantin, un grand verre d’eau et une coupe de cristal pleine de confitures de roses. Si bonnes que fussent ces confitures, nous n’en avalâmes, selon l’étiquette, qu’une seule cuillerée, puis une gorgée d’eau, et nous nous apprêtions à répondre aux questions que l’évêque nous faisait sur Rome qu’il avait habitée et d’où nous venions, lorsque la jeune servante reparut apportant le café. Quand nous eûmes vidé nos tasses, le prélat nous exprima le regret de n’avoir point de pipes à nous offrir. Je lui demandai s’il fumait ; il me répondit que cela lui arrivait quelquefois. Je n’avais garde de perdre cette occasion, unique peut-être dans ma vie, de voir fumer un évêque : tirant de ma poche un étui garni de cigarres de Malte, je le lui présentai, il accepta, et bientôt j’eus la satisfaction de voir quatre petites colonnes de fumée s’élever en spirales vaporeuses vers le plafond de la demeure épiscopale. La connaissance étant ainsi faite, la conversation s’établit. L’évêque, qui est le pape de son île, m’apprit que, de toutes les Cyclades, Tine est la plus catholique. Sur une population de moins de vingt mille habitans, il comptait, me dit-il, plus de huit mille fidèles, établis la plupart dans la partie septentrionale de l’île, tandis que les Grecs[1] occupent au contraire le côté du sud. Il avait fondé chez lui une

  1. Dans l’archipel, le nom de Grec se prend ordinairement dans l’acception religieuse. À cette question : Êtes-vous Grec ? on vous répond souvent : Non, je suis catholique.