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L’ÎLE DE TINE.

rant le fléau qui épouvanta leurs ancêtres et l’origine du nom de leur île, qui remonte à ce fléau, ne se doutent pas non plus que les savans des pays civilisés s’inquiètent de savoir si le nom de Tine dérive du mot grec τῆνος ou du mot phénicien tannoth (serpent, dragon). Sans trop se soucier d’où il vient, ils le prennent pour ce qu’il est, le prononcent Tino, et cela leur suffit.

À défaut de forêts, les coteaux sont revêtus d’un grand nombre de figuiers et de mûriers qui, sans atteindre jamais une haute croissance, n’en donnent pas moins un ton vert et riant au paysage. Une soixantaine de villages blancs à toits plats, et d’églises avec leurs clochers en forme de minarets, qui annoncent l’Orient, se dressent au milieu de ces arbres et se détachent vigoureusement sur leur sombre feuillage. Un ruisseau, pompeusement nommé fiume, traverse l’île et la féconde. Au lever d’un beau soleil de mai, tout cela était éclatant de lumière et de verdure ; la mer entourait ce frais paysage de son grand cadre d’azur ; et nous pouvons, puisque nous sommes au pays des pierreries et du langage figuré, nous servir d’une comparaison de Mahomet, en disant que, par cette belle matinée, l’île de Tine semblait une émeraude enchâssée dans un immense saphir.

Toutefois, il faut bien le dire, si la fertilité de Tine frappe vivement le voyageur et appelle de si orientales comparaisons, c’est moins par ce qu’elle est réellement que par le contraste qu’elle oppose à la désolation des îles voisines ; Son éclat n’est que relatif. Cette végétation phénoménale dans l’Archipel serait en France moins qu’ordinaire. Les Cyclades, que les poètes nous dépeignent si riantes, sont en général d’une aridité désespérante pour l’imagination. Que d’illusions s’envolent quand on arrive en Grèce ! Lorsque, venant d’Europe, quelques heures après avoir, pour la première fois, entrevu dans un vague lointain la terre du Péloponèse, le voyageur double enfin le cap Matapan, il éprouve un premier mécompte ; on lui désigne à droite, sous le nom de Cerigo et comme habité par six soldats anglais, un rocher chauve et aride comme les côtes de Provence. Cerigo n’est autre que cette île des amours dont le climat était si énervant, dont les myrtes, les citronniers fleuris exhalaient de si suaves parfums au temps où elle se nommait Cythère, où Vénus était sa souveraine. Puis vous rangez Milo, Anti-Milo avec son turban de nuages qui la couvre perpétuellement comme une ombrelle, Paros, Anti-Paros, Syra ; partout la même désolation. Si vous poussez plus loin votre voyage, vous retrouvez encore, à l’autre bout de l’Archipel, la