Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/800

Cette page a été validée par deux contributeurs.
794
REVUE DES DEUX MONDES.

reçut des mains de la servante une petite table qu’elle dressa devant nous, une autre apporta du linge, la troisième des assiettes. Pendant ces apprêts comme durant le repas, je remarquai que jamais les domestiques ne nous servaient directement ; ils semblaient n’être là que pour faciliter le service à leurs jeunes maîtresses. Chacune d’elles épiait nos moindres désirs, courait, donnait des ordres, et venait se ranger auprès de nous. Quelle différence de cet accueil avec celui que nous aurions trouvé dans des pays plus civilisés ! Ce n’était pas de la politesse seulement que nous témoignaient ces pauvres Grecs, c’était presque de l’affection. Sachant à peine qui nous étions, ils nous traitaient en frères par cela seul que nous étions étrangers et que nous avions besoin d’eux. Je traduisis mes pensées et les exprimai en mon meilleur italien, tandis que nous dévorions, avec une voracité qui réjouissait fort nos hôtes, ce qu’ils avaient placé devant nous. Le repas se composait de croquettes de riz faites de diverses façons ; des pigeons rôtis leur succédèrent ; des dattes, des figues sèches et des oranges terminèrent, avec un flacon de vin de Samos, cette collation, qui nous ranima. La table fut ensuite transportée dans un coin de l’appartement, et nous nous réinstallâmes sur le divan.

La belle Grecque au turban rouge avait remarqué nos pipes, elle nous les apporta. L’une de ses sœurs nous présenta pour les allumer un charbon et une pincette d’argent. Puis arriva le café. Il nous fut offert sur le plateau ciselé, dans de petites tasses de porcelaine bleue contenues elles-mêmes dans des coquetiers d’argent élégamment travaillés. En Grèce comme en Turquie, au sein des familles les plus pauvres, l’étranger est souvent étonné de la recherche qu’il aperçoit dans tous les objets destinés à son usage ; on met à le servir une certaine coquetterie, et ces bonnes gens prennent sur leur propre comfort pour augmenter celui de leur hôte. Le café, fait à la manière turque, épais et écumant, était délicieux ; toute la famille en prit avec nous. Nous fumions depuis un instant, causant avec le père, lorsque Maria fit un signe à l’une de ses sœurs, et toutes les deux passèrent sur la terrasse. Elles laissèrent la porte ouverte. La nuit était superbe au dehors ; un rayon d’une clarté douce et vive se projeta dans la salle et fit pâlir les lampes ; un courant d’air frais entra tout à coup, chassa la fumée de nos pipes, et nous apporta, au milieu du bourdonnement causé par les ébats du petit garçon, le murmure lointain de la mer. Mes regards, qui suivaient encore les jeunes filles, restèrent fixés, lorsqu’elles eurent disparu, sur un pan