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L’ÎLE DE TINE.

coller mon œil à cette fenêtre, et m’assurai que la maison était éclairée intérieurement. Alors sans plus de façon je poussai la porte ; elle céda, et nous nous trouvâmes vis-à-vis d’un homme portant l’habit européen. Il lisait devant une petite table ; en nous voyant entrer si brusquement, le pauvre diable se leva d’un air fort effrayé.

Signore, parlate italiano ? lui dis-je. Il répondit affirmativement ; nous nous crûmes sauvés.

— Nous ne sommes pas des voleurs ; monsieur, continuai-je, mais de pauvres voyageurs français, et dans une position fâcheuse, je vous assure. Existe-t-il une auberge dans les environs ?

— Non, monsieur.

— Mais l’on nous recevra sans doute au couvent des capucins ?

— Le couvent est fermé, le supérieur est absent, et le frère est malade.

— Mais les Français ont ici un agent consulaire, repris-je.

Il signor Spadaro. Oui, monsieur.

— Soyez assez bon pour nous faire conduire chez lui.

Mon interlocuteur s’était peu à peu rassuré. Il appela un petit Grec à calotte rouge qui dormait dans un coin, le chargea de nos sacs ; puis, nous regardant encore une fois avec étonnement, il nous dit de le suivre. Après avoir traversé plusieurs petites rues, nous arrivâmes en face d’un grand mur blanc ; un escalier que nous montâmes nous conduisit sur une terrasse toute couverte de fleurs. Une porte était ouverte ; sur le seuil se tenaient un petit vieillard coiffé d’un chapeau rond et une grosse matrone de quarante ans, ayant sur les épaules une veste et sur la tête une sorte de turban fait avec les larges tresses de ses cheveux. C’étaient les maîtres de la maison ; ils étaient sortis au bruit de nos pas. L’arrivée de deux étrangers couverts de grands manteaux, à cette heure de la nuit, était chose presque miraculeuse dans cette petite île oubliée du monde. Je m’avançai ma casquette à la main.

Sta qui il signor Spadaro ? — Le petit vieillard s’inclina en nous regardant.

Favoriscano, nous répondit gracieusement la matrone.

Nous entrâmes dans une grande pièce à murs tout blancs, décorée de plusieurs petits miroirs à cadres noirs, éclairée par deux chandeliers de cuivre supportant, au lieu de bougies, deux globes de verre pleins d’huile. C’est le lumignon le plus ordinaire en Grèce. On nous fit asseoir sur un long divan couvert de cotonnades vertes. Dans le premier instant, nous promenâmes les yeux autour de nous