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cette différence n’est pas dans l’acte créateur, mais dans l’opinion que s’en forme notre esprit. Descartes était plus conséquent ; ne voulant être ni panthéiste ni manichéen, il a admis la création, et la création continuée.

Le panthéisme a des partisans en Allemagne ; il n’en a jamais eu en France, ou du moins jamais de sérieux. La raison en est toute simple : il a le bon sens contre lui.

Suis-je éveillé ? ai-je conscience de moi-même ? Non, non, ce n’est pas une illusion ; je me sens, je me vois, je me possède. Je suis un être distinct et séparé, qui a ses facultés, ses besoins, ses espérances, qui réagit sur les autres êtres, qui leur résiste, qui en triomphe, qui améliore sa propre nature, et ne doute ni de son passé ni de son avenir. Je n’ai en moi nulle idée plus ferme et plus claire que celle de ma propre vie ; il n’en est point à laquelle je puisse la sacrifier et la soumettre ; je pourrais aussi bien arracher ma vie de mes entrailles et la jeter loin de moi, que de renoncer à mon individualité propre, malgré le cri de ma conscience et l’évidence de ma raison. En présence d’une conviction aussi ferme, les déductions les plus rigoureuses ne sont plus que des sophismes. Elles ne m’ébranlent pas. Ce Dieu dans lequel vous voulez me confondre n’est ni le Dieu de mon esprit ni le Dieu de mon cœur. Je serai récompensé ou puni dans la forme que Dieu m’a donnée : voilà ma foi ; c’est la foi de l’humanité. Spinoza, malgré son génie, ne m’arrachera pas à moi- même.


Jules Simon