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SPINOZA.

Spinoza, dans cette attaque des livres saints où il a devancé le XVIIIe siècle, se distingue de ses successeurs par trois importans caractères : il ne raille jamais, il est profondément érudit, et, tout en attaquant les religions positives, il est et demeure religieux.

Oui, Spinoza est religieux, religieux d’intention, religieux par conviction et par nature. Novalis voit en lui un mystique ivre de Dieu, et de nos jours on a transformé ses arides théorèmes en soupirs d’amour divin. C’est aller bien au-delà de la vérité ; mais quoique le Dieu de Spinoza, confondu avec la nature, ne conserve aucun droit à nos respects et à notre adoration, Spinoza a respecté et adoré son Dieu, et le confondre avec les athées, lui dont toute la doctrine repose sur l’idée de l’infini, c’est confondre comme à plaisir les opinions et les systèmes. Écoutons-le lui-même défendant avec énergie la sincérité de sa croyance : « Il importe peu, dit-on, de savoir de quelle race je suis, et quelle est ma manière de vivre. Je crois que, s’il l’avait connue, il ne se serait pas si aisément mis dans l’esprit que j’enseigne l’athéisme ; car c’est la pratique ordinaire des athées de rechercher avec excès les honneurs et les richesses, choses que j’ai toujours méprisées, comme le savent parfaitement tous ceux qui me connaissent. Pour en venir peu à peu à ses fins, l’auteur du libelle ajoute que je ne suis point un esprit médiocre, et cet éloge a pour but, sans doute, de persuader plus aisément que c’est par pure adresse et par astuce que j’ai soutenu dans les intentions les plus détestables la cause des théistes. Cela ne fait voir qu’une chose, c’est que ce critique n’a pas entendu mes raisonnemens ; car où est l’esprit assez subtil, assez astucieux, assez dissimulé, pour établir par tant de solides raisons une doctrine qu’il estimerait fausse ! Et quel écrivain passera donc pour sincère aux yeux d’un homme aussi défiant, s’il croit qu’on peut démontrer des chimères aussi solidement que des vérités. Au surplus, rien de tout cela ne me surprend. C’est de cette façon que Descartes a été traité par Voët, et chaque jour on agit de même à l’égard des plus honnêtes gens. » Le père Lami s’exprime ainsi dans sa réfutation de Spinoza, entreprise, comme on sait, à la prière de Bossuet : « Ne reconnaître qu’un être universel indistingué de toute la nature et de l’assemblage de tous les êtres, un être sans liberté et sans providence, et qui sans but et sans fin, sans choix et sans élection, soit emporté par une nécessité aveugle et inévitable en tout ce qu’il fait, ou plutôt qui ne fait rien, mais à qui toutes choses échappent aussi nécessairement et aussi indélibérément qu’un torrent échappe à la source