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SPINOZA.

écouteront pas le correctif. Ils recevront de vos mains le brevet d’innocence que votre imprudence leur livre, et, contents du principe, ils en affronteront les conséquences.

Spinoza traite la liberté politique comme il a traité la liberté morale. La liberté morale consiste, suivant lui, à dépendre uniquement des lois de sa propre nature, et la liberté politique, à participer soi-même au pouvoir que l’on subit : « Si tout le monde participe du pouvoir, dit-il, tout le monde est libre, quelle que soit la rigueur des lois. » Oui, libre, de cette libre nécessité qu’il donne à son Dieu, et qui exclut la possibilité de choisir.

Voilà donc les conséquences de cette philosophie géométrique : la morale et la politique de l’intérêt, point de liberté, nulle espérance d’une vie à venir ; voilà, par tant d’efforts et de peine, où cette profonde métaphysique nous conduit. C’est ici qu’il faut écouter Schleiermacher s’écrier, dans son enthousiasme pour la pure morale du spinozisme : « Sacrifiez avec moi une boucle de cheveux aux mânes du saint et méconnu Spinoza ! Le sublime esprit du monde le pénétra, l’infini fut son commencement et sa fin, l’universel son unique et constant amour. Vivant dans une sainte innocence et dans une humilité profonde, il se mira dans le monde éternel, et il vit que lui aussi était pour le monde un miroir digne d’amour ; il fut plein de religion, et plein de l’esprit saint : aussi nous apparaît-il solitaire et non égalé, maître en son art, mais élevé au-dessus du profane, sans disciples et sans droit de bourgeoisie ! »

Cet enthousiasme de Schleiermacher pour Spinoza n’est point un fait isolé dans l’Allemagne contemporaine, un caprice tout individuel ; ces élans sympathiques, cette exaltation dont la ferveur nous étonne, paraissent très naturels au-delà du Rhin. Par ses philosophes, par ses théologiens, par ses poètes, l’Allemagne, depuis cinquante ans, est tout entière à Spinoza. C’est l’auteur vénéré de Nathan-le-Sage, l’illustre Lessing, dont la parole fut si puissante, dont la mémoire est restée si chère à nos voisins, qui donna le branle aux imaginations inquiètes et commença la réhabilitation du spinozisme. Cette ame généreuse et passionnée s’indignait, en lisant l’Éthique, de la longue réprobation qui pesait encore sur ce livre immortel et sur l’homme de génie qui le composa. « Jusqu’à ce jour, dit-il énergiquement à Jacobi, on a traité Spinoza comme un chien mort. Il est temps d’apprendre aux hommes la vérité. Oui, Spinoza avait raison : un et tout, voilà la philosophie. » Répété par Jacobi, ce mot de Lessing, en dépit des réclamations de Mendelsohn, fait le tour de l’Al-