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rent en ce qu’ils expriment d’une façon différente la substance, ils sont identiques en ce qu’ils représentent un seul et même moment du développement éternel de l’activité infinie. Ainsi à tous les degrés le corps et l’idée diffèrent et sont réunis ; l’univers entier est animé ; tous les individus qu’il enferme ne sont que des collections de modes. Il n’y a en moi ni substance particulière, ni force ou faculté quelconque. Je suis une idée, collection d’idées. L’entendement, la volonté, sont des êtres de raison. Des idées, voilà tout mon entendement ; des désirs, voilà toute ma volonté. Spinoza accumule contre la liberté de l’homme tous les argumens ordinaires du scepticisme, et cet acharnement qu’il déploie était inutile, car il est trop évident qu’il n’y a pas de place dans sa théorie pour la liberté humaine, et qu’il n’aurait pu l’admettre qu’en foulant aux pieds tous ses principes. Aussi n’a-t-il pas hésité : « Tout ce que je puis dire à ceux qui croient qu’ils peuvent parler, se taire, en un mot agir en vertu d’une libre décision de l’ame, c’est qu’ils rêvent les yeux ouverts. » Voilà toute l’audience qu’il donne aux réclamations de la conscience. Ne reconnaissez-vous pas celui qui a dit : « J’analyserai les actions et les appétits des hommes, comme s’il était question de lignes, de plans et de solides. »

Si mes idées sont les idées de Dieu, et mes actions ses actions, mes erreurs et mes fautes seront aussi en lui, et alors que devient sa perfection ? Spinoza n’est point troublé de cette conséquence ; il ne s’agit, selon lui, que de bien entendre ce que c'est qu’une erreur ou une faute. Une erreur n’est rien de positif, car alors elle serait nécessairement en Dieu ; elle n’est pas l’absence de la connaissance, car on ne dit pas d’un corps qu’il se trompe, ni l’ignorance, car celui qui n’a jamais entendu parler de l’empereur de la Chine ne se trompe pas à son sujet. L’erreur est un mélange de connaissance et d’ignorance, une idée incomplète qui n’embrasse qu’une partie de son objet, une idée inadéquate. C’est donc un mode inférieur de la pensée, et voilà tout. Il en est de même de la faute. L’idée que nous avons du mal résulte de la comparaison que nous faisons d’un être inférieur à un être plus parfait. Nous construisons dans notre esprit un certain idéal de la perfection humaine, et nous appelons mauvais tout ce qui nous paraît s’en écarter ; c’est pour cela que nous blâmons dans un homme ces ruses, ces jalousies, ces colères que nous admirons dans les animaux. Dès que nous savons qu’il n’y a point d’humanité, mais seulement des individus, et que les termes généraux ne sont que des conceptions abstraites de l’esprit, le charme disparaît,