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SPINOZA.

naissance jusqu’au dernier moment, se leva même, et mangea de bon appétit le jour de sa mort. Ce jour-là et les jours précédens, il ne vit que ses hôtes et son médecin ; le peintre chez lequel il logeait, ne concevant pas d’inquiétude pressante, le quitta dans la matinée pour assister avec sa femme à l’office du dimanche ; à leur retour, ils trouvent Spinoza mort, et le médecin déjà reparti pour Amsterdam. Ce qu’on a débité sur les précautions qu’il avait prises pour écarter de lui tout le monde, sur le suc de mandragore qu’il voulait boire pour s’étourdir, et sur ces paroles qu’on lui attribue : « Mon Dieu ! ayez pitié de moi, misérable pécheur ! » tout cela est controuvé.

Ainsi mourut Spinoza à quarante-cinq ans. Aucun lien de famille, de religion et d’école ne fut rompu par sa mort. Il avait donné peu de gages à cette vie. Il eut pourtant quelques amitiés solides. Son temps s’écoula dans l’obscurité, sans bruit, sans grandes passions ; mais il laissait un nom célèbre, et des écrits qui devaient perpétuer après lui les haines dont il avait souffert. Il est hors de doute qu’il mourut dans toute la ferveur de ses convictions ; sa mort n’en fut pas moins paisible. Il était, comme tous les esprits systématiques, enchanté par ses théories, et il essaya plus d’une fois de montrer que, si sa doctrine était suivie, la morale publique serait réparée, les mauvaises passions vaincues, les ames relevées et rassurées. On ne vit jamais en lui cette chaleur de cœur et cet enthousiasme des mystiques, mais une conviction pleine et raisonnée qui le rendit calme dans la vie et dans la mort. Comme il avait cherché dans toutes ses méditations la réalité de la substance, il bornait aussi son désir à posséder au-delà de cette vie la plénitude de l’être, et ne donnait pas un regret à la forme particulière qu’il avait revêtue et qu’il était sur le point de quitter. Cet esprit dont la raison était l’unique loi, et qui ne procédait que méthodiquement, arrivait à travers ses formules et ses théorèmes à la même conclusion que les mystiques, et il aurait dit comme Plotin à son lit de mort : « Je cherche à dégager en moi le divin. »

Il n’est pas aisé de donner en quelques pages une idée nette de la philosophie de Spinoza, quoique le travail de M. Saisset que nous avons entre les mains rende aujourd’hui cette tâche moins difficile. Si cependant on veut bien nous suivre avec quelque attention, nous ne désespérons pas de renfermer dans une très courte analyse les traits principaux du système.

Il faut d’abord bien comprendre la méthode de Spinoza. Spinoza est rationaliste ; seulement il ne procède pas comme Platon, qui arrive aux