Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/769

Cette page a été validée par deux contributeurs.
763
SPINOZA.

la spéculation proprement dite et la science des principes soit supérieure à toute autorité, et ne relève que d’elle-même.

Les autres écrits de Spinoza n’ont été publiés qu’après sa mort. Il y a d’abord l’Éthique, son ouvrage principal ; le Traité politique, auquel Spinoza n’avait pas mis la dernière main, et dont les conclusions sont en faveur d’un gouvernement républicain avec prédominance de l’élément aristocratique ; de la Réforme de l’entendement, inachevé ; un recueil de Lettres, la plupart très importantes, surtout les lettres à Oldenburg sur la théologie, et les lettres à Louis Meyer sur la métaphysique ; enfin la Grammaire hébraïque, que M. Saisset n’a point traduite, diverses lettres inédites, et un fragment sur le diable, également inédit.

L’Éthique est en réalité une métaphysique complète, quoique le but apparent de Spinoza soit seulement de résoudre le problème de la destinée humaine. Il commence par développer sa théorie sur la nature et les développemens de la substance ; puis, quittant le principe pour la conséquence, il explique la nature des corps et celle des esprits, fait ressortir leurs rapports entre eux et avec la substance d’où ils émanent, et nous montre ainsi le monde entier contenant son principe et sa fin et se suffisant à lui-même par l’éternelle distinction et l’éternelle union de la substance et des phénomènes. Les ames qui se développent au sein de Dieu ont pendant leur apparition une sorte d’existence propre, des appétits, des passions, des désirs. Spinoza décrit minutieusement tout ce mécanisme, mais il le décrit sans le regarder, comme un algébriste déduit tout de sa formule, sans daigner descendre jusqu’à calculer ; il trace tour à tour le tableau d’une ame soumise aux passions dégradantes, et celui d’une ame pleine de bonnes pensées, pliée à la discipline, sanctifiée par la méditation de la substance et des vérités éternelles, et il conclut par la démonstration de l’immortalité de l’ame, non pas, il est vrai, de cette immortalité à laquelle nous avons foi, qui reste solidaire de la vie humaine, conserve la conscience et le souvenir, et nous fait jouir ou souffrir sous notre forme propre, mais de cette immortalité de substance, qui profite à l’être sans bénéfice pour la personne, et dont avant Spinoza les Alexandrins et tous les mystiques ont voulu se contenter.

On sait que Spinoza affecte dans cet ouvrage la forme géométrique. Cette forme sévère, rigoureuse, convenait en effet à la trempe de son esprit, et surtout à la méthode déductive, à laquelle il fut si fidèle. Descartes, Leibnitz, y avaient eu plus d’une fois recours. Au