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mesure qui les régit est plus large et plus libérale ; le gouvernement prussien, loin de chercher à effacer leur caractère de nationalité, favorise au contraire l’étude de leur langue et le développement de leur littérature. Il y a là un foyer d’écrivains instruits, laborieux, qui recueillent d’une main pieuse les trésors de gloire de leur vieille patrie, ravivent ses traditions héroïques, et défendent sa cause avec énergie. On dit que cette liberté accordée aux Polonais du duché de Posen a souvent éveillé la susceptibilité de la chancellerie russe et donné lieu de part et d’autre à mainte correspondance plus ou moins acerbe.

La Prusse, en agissant ainsi, se conforme à ses principes habituels de politique, à ses instincts mesurés de libéralisme. Elle fait pour les provinces polonaises ce qu’elle a fait pour la Lusace, la Silésie et les provinces rhénanes, une propagande à sa façon, un habile mélange d’autorité et de tolérance. La Russie, en étendant son sceptre d’airain sur la Pologne, poursuit les conséquences rigoureuses de son système absolutiste. Elle ne tient point compte de ce que ce pays a été jadis, elle le regarde comme une partie intégrante de ses états et le traite comme une province révoltée. La faute en est aux puissances qui ont souffert tant de fois le partage de cette malheureuse contrée[1], et aux puissances qui n’ont point voulu, ou qui n’ont pu intervenir dans sa dernière révolution.

Toutes les mesures ont été prises pour prévenir une nouvelle révolte : une autre forteresse imposante à cinq lieues de Varsovie, une autre dans la ville même, les emplois occupés par des fonctionnaires russes, les casernes par des soldats russes, les soldats polonais envoyés au loin, dispersés dans les divers régimens de l’empire, un télégraphe sur la route de Pétersbourg, et une armée d’espions, d’agens de police répandus sur tous les points. La Pologne entière est enlacée dans un réseau inextricable. La lime la plus patiente s’userait sur ces mailles si fortement tissues, la main la plus forte ne les briserait pas. L’énergie contenue de tout un peuple, favorisée par des circonstances heureuses, peut seule, en un moment de transport et d’enthousiasme, s’affranchir de ce joug pesant.

Dans l’état de dégradation où la Pologne a été jetée, c’est encore un bonheur pour elle d’avoir des fonctionnaires tels que ceux qui la régissent aujourd’hui. Le maréchal Paskewitch, qui exerce dans le pays l’autorité de vice-roi, a, dit-on, le langage rude, mais le cœur loyal et compatissant. Il sait ce que vaut la nation polonaise, car il l’a vue sur le champ de bataille, et s’il condamne la révolte comme représentant de l’empereur, il sait, comme soldat, rendre justice au courage. Les fonctionnaires placés près de lui s’efforcent, tout en exécutant leur mission, d’en adoucir autant qu’ils peuvent les rigueurs. J’en ai connu plusieurs qui m’ont intéressé par leur instruction et séduit par leur affabilité.

Malgré les arrêts de la censure et les inquisitions de la police, la littérature

  1. Il y a eu, comme on sait, six partages successifs de la Pologne, le premier en 1772, les autres en 1793, 1795, 1807, 1809 et 1815.