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DE LA SITUATION DU THÉÂTRE EN FRANCE.

Régnier revient tout entier à M. de Vigny, à M. Hugo, à M. Sainte-Beuve, à MM. Émile et Antony Deschamps.

Quant aux qualités générales du style de Lucrèce, nous avons dit qu’elles sont fort recommandables : nerf, précision, sobriété, ce sont là de grands mérites. Deux défauts, néanmoins, déparent ces avantages, l’absence d’unité et l’incorrection. Le style de Lucrèce, en effet, est un composé de deux trames distinctes, double emprunt fait, l’un à Corneille, ou, pour ne pas trop prodiguer les grands noms, à Rotrou, l’autre à la jeune muse d’André Chénier. Une partie de la pièce est écrite dans le rhythme rude et concis de l’école archaïque ; l’autre, au contraire, dans le mode élégant et souple de l’auteur de la Jeune Captive. On chercherait vainement entre deux un style qui fût celui de M. Ponsard. Je ne vois dans sa diction qu’un double pastiche, qui souvent, il est vrai, rappelle avec bonheur la manière de ses deux modèles.

Quant aux incorrections, elles sont nombreuses et, en général, de la nature la moins pardonnable. Nous demandons aux lecteurs les moins puristes ce qu’ils pensent des vers suivans :

Collatin vous ouvrit son seuil hospitalier
Et vous fit prendre place au foyer familier.
Ceux chers à mon mari me sont chers à moi-même.
La maison d’une épouse est un temple sacré
Où même le soupçon ne soit jamais entré,
Et son époux absent est une loi plus forte
Pour que toute rumeur se taise vers sa porte.
Lucrèce consumait, au sein d’obscurs travaux,
Un lustre de beauté qui n’a point de rivaux.
Un feu qui semble mort couve sous une cendre.
Il se tait, et chacun frémit dans une attente.
N’importe en quel objet vous l’ayez résolu.
.....C’était assez des fers de votre hymen,
Sans attacher le cœur comme le fut la main.
Une telle grandeur sied à votre courage ;
Lucrèce, prononcez, et je vous la partage.
..........Par ce sang,
Le plus pur qui jamais coula chez une femme.
Et toi, Rome, que j’aime et que souvent j’invoque,
Rome, à qui je médite une fameuse époque.
........Tarquin a déserté,