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remise en question de plusieurs problèmes qu’on avait pu croire définitivement résolus ; en un mot, c’est une occasion sérieuse et solennelle pour l’art et pour la critique de se replier sur eux-mêmes, de se rendre compte de leur position et de faire, avec courage et bonne foi, un examen de conscience complet et sincère. Oui, tout succès qui se lève à l’horizon littéraire est comme une étoile éclatante qui perce les nuages et qui permet à la poésie, voguant vers l’idéal, de reconnaître le chemin qu’elle a parcouru, d’estimer au vrai la dérive, et de régler avec justesse sa direction pour l’avenir.

Malheureusement, les chefs de l’école poétique actuelle, qui auraient plus que personne intérêt à recueillir ces utiles indications, rejettent par système tout avis venant de la foule, et se piquent, à la façon des conquérans, de ne suivre d’autre étoile que celle de leur génie. Odi profanum vulgus et arceo est la devise qu’ils ont conservée du cénacle. — Qu’ils y prennent garde toutefois ! Cette maxime à la Byron, plausible quand on l’applique à certaines branches de poésie, qu’on peut appeler aristocratiques, devient fausse et funeste dès qu’on veut l’étendre à un genre de productions tel que le drame, dont les racines plongent profondément dans le sol populaire. Une ballade, une élégie, un sonnet, sont les fruits d’une fantaisie toute personnelle (on serait tenté de dire égoïste), laquelle cherche avant tout dans l’art sa propre satisfaction. Les œuvres de cette nature sont d’indépendans monologues dans lesquels le poète élégiaque ou lyrique a le libre choix des sons, des formes, des images, de toutes les sensations ; en un mot, qu’il lui convient d’éveiller, à peu près comme dans une voluptueuse retraite un sensuel épicurien couronne solitairement sa coupe des vins et des fleurs qui lui agréent. Le poète dramatique, au contraire, en présence de cet invité parfois incommode, mais toujours désiré, qu’on nomme le public est tenu de montrer la noble déférence d’un hôte disposé à s’oublier lui-même, et à faire prévaloir, dans une juste mesure, les goûts de ses convives sur les siens propres. C’est qu’en effet un drame est une œuvre collective dans laquelle le public a une part de coopération active et nécessaire, que le génie du poète peut bien s’efforcer de restreindre, mais qu’il ne lui est pas donné d’abolir.

Je suis bien éloigné, en tenant ce langage, de vouloir abaisser en rien la hauteur de la mission sociale et civilisatrice que s’attribuent dans leurs manifestes les maîtres de notre scène, mission d’ailleurs qu’ils pourraient souvent mieux remplir. En ce siècle si dénué de tout enseignement moral, il est bon que ceux qui sont en possession