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salut profond, pensant que c’était loyal et poli ; j’obtins un regard. — Ugh ! noir comme le diable ! quel malheur ! Il se promenait incognito ; et moi donc, imbécile ! il a fallu que j’allasse le dépister ! — (Mem. La première fois que je passerai devant le vieux coupé jaune, me rappeler que rien de royal ne s’y trouve.) »


On remarque entre les satires de Byron et celles de Moore la même différence qui existe entre leurs œuvres plus sérieuses : chez Byron, l’attaque s’adresse à l’individu même ; chez Moore, elle prend aussitôt une forme politique. Dans le régent, lord Byron ne paraît envisager que l’homme, l’être moral avec les vices et les faiblesses qui lui sont propres ; il met à le poursuivre un acharnement qu’on a peine à expliquer, et à voir l’outrageuse violence de ses paroles, on dirait presque la haine d’un rival. Moore, au contraire, obéissant à ses instincts nationaux, en veut au système politique dont le prince, depuis 1811, était devenu le représentant et le chef. Il ne se sert des fautes et des ridicules du roi futur, que pour mieux faire ressortir ceux du gouvernement, et l’on aperçoit toujours, et jusque dans ses moindres jeux d’esprit, la rancune profonde de l’Irlandais qui se rappelle ces mots du plus célèbre et du moins patriotique parmi les grands hommes de son pays[1] : « On ne gouvernera jamais l’Irlande que par l’épée. » Des paroles comme celles-là (et combien n’en a-t-on pas prononcé !) se retrouvent au fond de plus d’une pièce de vers dans laquelle on s’habituait à ne voir d’abord qu’une plaisanterie, et qui pour la plupart du temps renfermait des épigrammes sanglantes.

Du petit groupe d’hommes illustres qui vers le commencement du siècle jetèrent un si brillant éclat sur la littérature anglaise, il ne reste guère aujourd’hui que Thomas Moore. Byron, le dernier venu, a le premier quitté la scène de ses luttes et de son triomphe. Scott l’a suivi ; l’auteur de Christabel, le philosophe Coleridge, n’a pas tardé à les rejoindre, et Southey vient de s’endormir du sommeil éternel. Il est arrivé ce qui arrive toujours : après l’effort, l’épuisement ; après l’éclair, les ténèbres. L’Angleterre, fatiguée par l’enfantement de tant d’intelligences d’élite, est tombée dans un anéantissement déplorable sous le point de vue littéraire. Je ne vois pour succéder à Walter Scott que sir Edward Bulwer, à Byron que Mme Norton, et aux lakistes que cette foule insignifiante et monotone, rimeurs de

  1. Le duc de Wellington.