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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

enfin à la plus longue et ténébreuse nuit ; et, semblable à un roseau, tu as vu briser devant toi le sceptre qui t’avait frappée d’esclavage et de douleur.

« Tu as été vengée lorsque cette coupe amère que l’orgueilleuse Babylone, la cité toute d’or, avait remplie pour d’autres, abreuva ses propres lèvres, et lorsque le monde qu’elle foulait aux pieds entendit sans pitié les lamentations dans ses palais et les cris dans ses vaisseaux.

« Tu as été vengée lorsque la malédiction dont le ciel frappe les arrogans est tombée sur la tête de ses marchands rapaces, de ses gouvernans injustes, et que, ruine hideuse, couverte de vermine, la « dame des royaumes » gisait dans la poussière. »

Les Mélodies irlandaises, comme les chansons de Béranger, s’inspirent tour à tour du patriotisme et de l’élément épicurien, avec cette différence pourtant que l’élan patriotique du poète français se manifeste par des chants de gloire, tandis que les refrains nationaux du barde d’Erin ne sont que les chants de la captivité. Certains esprits, possédés par la manie de toujours trouver en face d’un grand talent un autre talent auquel le comparer, ont cru voir dans Moore un Béranger irlandais ; mais il suffit de la moindre étude pour voir combien cette prétendue ressemblance est superficielle. S’il y a chez tous deux la même forme exquise, le même soin minutieux de la rime, la même perfection dans chaque vers, la même apparente facilité, il manque au traducteur d’Anacréon le ton goguenard, la fausse bonhomie, l’esprit plutôt moqueur que satirique, le grain de sel gaulois enfin, qui percent à travers chaque ligne du chantre du Roi d’Yvetot. Le caractère distinctif de Moore est une conviction profonde ; on peut voir dès-lors quel rapport serait à établir entre lui et un génie railleur, sceptique s’il en fut. La muse de Moore ressemble à Sardanapale ; vaillante autant que voluptueuse, elle quitte le banquet splendide sur les bords de l’Euphrate pour voler sur la brèche et défendre Ninive, et, au sein même de la mêlée où l’entraîne une noble ardeur, on sent de la blonde chevelure qui échappe à son casque d’or s’exhaler l’encens et les parfums de l’Ionie. Nul doute que ce ne soit dans les Mélodies irlandaises, que l’on doive chercher le vrai génie de Thomas Moore. C’est là qu’il a mis tout ce qu’il possédait d’imagination, de chaleur, de verve et de puissance, et c’est par là qu’il a conquis, comme le disait Byron, son droit à une impérissable gloire. Parmi les chants nationaux de tous les peuples, j’en connais peu qui soient aussi énergiquement beaux et surtout d’une aussi imposante simplicité que ceux de Moore. Les romances muy dolorosos que la perte du royaume de Grenade inspirait aux Maures