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spectacle n’avait rien de ridicule ; alors l’esprit humain avait besoin de toutes ses forces ; il ne pouvait y avoir trop de travailleurs. Il fallait que le monde moderne fût dégrossi le plus vite possible. Mais d’autres temps, d’autres soins. Quand la civilisation intellectuelle de l’Europe fut solidement assise, les femmes durent abandonner les travaux scientifiques pour s’en tenir aux choses de l’imagination et du cœur. C’est ce qu’a compris si bien Molière quand il fit les Femmes savantes. Ce grand esprit estima qu’il était ridicule à des femmes de vouloir se signaler dans la philosophie, la physique et la géométrie, quand Descartes, Pascal et Fermat étudiaient la nature de l’homme et les lois du monde. Sûr de ne pas se tromper en jugeant ainsi les choses, Molière fut hardi dans l’exécution ; il savait aussi qu’en attaquant les savantes, il aurait pour lui toutes les femmes spirituelles et belles qui faisaient l’ornement de Versailles et de Paris.

Au reste, la nature des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons est peu faite pour attirer aujourd’hui les femmes aux matières philosophiques. Ne semble-t-il pas que la guerre doive recommencer entre la philosophie et l’église ? C’est du moins ce qu’on pourrait craindre, s’il fallait voir dans certains hommes les mandataires avoués de l’intérêt religieux. Mais, en vérité, on ne comprend pas l’avantage que trouverait l’église à provoquer des collisions fâcheuses. La guerre ! Et pourquoi ? L’église pourrait-elle, avec quelque fondement, être mécontente de sa situation ? La société la respecte, le gouvernement l’honore et quelquefois la flatte. Il y a un retour sensible vers la pratique et le goût des choses religieuses. Sincérité chez beaucoup, calcul chez plusieurs, esprit d’imitation chez d’autres, quelles que soient les causes de ce retour, il est réel, et chacun s’en préoccupe. Tout ce que demande l’église à l’administration civile pour accroître ses ressources et étendre son influence, elle l’obtient. Que peut-elle vouloir de plus ? Mon Dieu, presque rien, si l’on doit en croire quelques-uns ; une misère. Mais encore ? Eh bien ! l’église désirerait l’anéantissement de la philosophie.

Anéantir la philosophie dans la patrie de Descartes et de Voltaire, proscrire en France le droit souverain de la pensée ! Vers la fin du siècle dernier, avant 1789, Turgot écrivait ces paroles : « La société peut choisir une religion pour la protéger, mais elle la choisit comme utile et non comme vraie, et voilà pourquoi elle n’a pas le droit de défendre les enseignemens contraires. » La charte a été rédigée en vertu de cette maxime de Turgot. En proclamant que la religion