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comme des miroirs où le génie humain se réfléchissait et pouvait saisir sa physionomie. L’histoire est devenue quelque chose d’abstrait et d’idéal, et comme la contre-épreuve de l’étude de nos facultés. Pour la traiter ainsi, il ne faut pas une vigueur moindre que pour observer directement la conscience humaine. Savoir assigner aux systèmes et aux institutions leur véritable origine, en observer les progrès, les altérations, les défaillances, les résurrections, sous les analogies distinguer les différences, et reconnaître les contradictions sous les ressemblances spécieuses, suivre le cours d’une idée dans ses ramifications les plus lointaines et ses déguisemens les plus habiles, comprendre les mystères, traduire les symboles, dévoiler les images, ne jamais perdre de vue, à travers les capricieux dédales de l’imagination du genre humain, l’éternelle identité de sa pensée, voilà qui demande de la force, et dans cette force autant de souplesse industrieuse que d’infatigable énergie. Dès qu’une fois on entre dans l’histoire humaine avec la prétention non-seulement d’en décrire les scènes pittoresques, mais d’en expliquer les raisons et les lois, il faut pouvoir l’explorer tout entière, dans tous les sens et à fond. Ne vous engagez pas dans cette carrière infinie, si une longue pratique de la réflexion n’a pas mis votre jugement à l’abri des illusions et des méprises, si vous ne disposez pas en maître de vos matériaux et de vos idées. C’est ici que doit éclater la puissance de la méthode, qui seule sait faire porter tous leurs fruits à la science et au génie.

Il est donc donné à peu d’hommes de satisfaire à toutes les conditions de la méthode philosophique, soit qu’il s’agisse de saisir et d’analyser les principes des choses, soit qu’il faille comprendre et dérouler l’histoire du genre humain. Les grands métaphysiciens sont rares ; les véritables historiens de l’humanité ne le sont pas moins. Même avec des dons remarquables, beaucoup d’hommes ont failli dans la carrière qu’ils avaient cru pouvoir fournir. On en a vu qui, avec un esprit plus vif que fort, ont mis à la place des faits leurs imaginations ; d’autres ont apprécié les choses et les ont représentées avec des préjugés où la passion dominait : ils ont plus senti que pensé. Il serait infini d’énumérer les illusions dont ceux qui poursuivent la vérité sont si souvent le jouet, et, quant à dresser la liste de ces naufragés célèbres, ce serait écrire la plus grande partie de l’histoire des religions et de la philosophie.

Puisque dans les travaux philosophiques tant d’hommes ont succombé, il est permis de se demander si les femmes peuvent y réussir.