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lui arrivait de prononcer. À la fin du second acte, une alcôve s’ouvrait, et vous entendiez l’aigle de Meaux s’écrier du milieu d’un groupe de femmes en alarmes : Madame se meurt, madame est morte ! après quoi tout rentrait dans le silence, et le rideau tombait sur un de ces tableaux que le public de l’endroit affectionne à si juste titre. Tout au rebours de ce personnage du mélodrame vraiment pathétique et sublime dans son geste muet, le Bossuet de M. Adolphe Dumas ne fait que parler et discourir sur toute chose ; les alexandrins coulent de sa bouche par centaines et les tirades ne lui coûtent rien. Il faut avouer aussi que Molière lui tient tête à ravir. Tout ce que M. Adolphe Dumas pense de la constitution de l’église et de la royauté absolue, du clergé gallican et de la société des gens de lettres, Bossuet et Molière sont là pour nous le dire ; durant cinq actes, l’auteur du Discours sur l’Histoire universelle et l’auteur du Misanthrope se renvoient la paume à qui mieux mieux, et de temps en temps, pour que rien ne manque à la partie, le parterre a la satisfaction de voir Louis XIV intervenir. Cependant, à travers tant de rimes oiseuses et de scènes incohérentes, au milieu de tant d’inexpérience et de mauvais goût (pour citer un exemple, vous représentez-vous ce vers dans la bouche de Mlle de Lavallière :

Je prendrai mon congé, puisqu’on me congédie)

on trouve çà et là d’heureuses rencontres, des intentions louables qu’il faut saisir au vol, de peur qu’elles ne vous échappent ; j’indiquerai entre autres, au troisième acte, une scène d’amour fort délicatement touchée. Versificateur plutôt que poète, M. Adolphe Dumas est acquis, à force de confectionner des hexamètres, une facilité déclamatoire qui, jointe au peu d’entente qu’il paraît avoir des moyens dramatiques, s’opposera toujours, nous le craignons, à ce qu’il réussisse au théâtre. Du reste, on peut le dire hardiment, cette fois la nature du sujet était telle que de plus forts eussent échoué. Jamais figure humaine ne répugna aussi ouvertement à toutes les conditions de la scène que cette auguste figure si mélancolique, si doucement contemplative de Molière. Quant aux amours de Louis XIV et de Mlle de La Vallière, évidemment rien au monde n’appartient moins au drame. Que peuvent donc avoir à faire les combinaisons de la mise en scène et tout l’attirail matériel d’une pièce de théâtre dans cet aimable roman du cœur, où tout est prévu d’avance, qui commence sous les ombrages de Versailles et finit aux Carmélites, sans autre péripétie que des larmes, des soupirs et des sanglots, entremêlés d’aveux charmans et de baisers ? Et puis il y a dans ces héroïnes du grand siècle, dans leurs divines faiblesses et leurs tendres souffrances, une grace cachée, une délicatesse exquise que jamais ne sauront reproduire les hommes de ce temps-ci. Au fait, pourquoi le chercheraient-ils ? Ces trésors de grace exquise et de sensibilité contenue n’ont-ils pas eu pour sublime interprète la poésie de Racine ?


V. de Mars.