Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/664

Cette page a été validée par deux contributeurs.
658
REVUE DES DEUX MONDES.

toutefois qu’en y rattachant si expressément en tête le nom assez disparate du roi de Prusse, en serrant de près avec une exactitude sévère le règne de ce champion si empressé de la coalition, qui fut le premier à rengainer l’épée et à déserter dans l’action ses alliés compromis, M. de Ségur prenait à sa manière, et comme il lui convenait, sa revanche de la non-réussite de Berlin. Si ce roi eut avec lui des torts de procédé, comme on l’a dit et comme vient de le répéter un écrit récent, il les paya dans ce tableau fidèle : une plume véridique est une arme aussi. M. de Ségur ne l’a jamais eue si ferme, si franchement historique. Ici d’ailleurs comme toujours (est-il besoin de le dire ?) et soit qu’il jugeât les affaires du dehors, soit qu’il déroulât les crises révolutionnaires du dedans, il usait d’une équitable mesure. Marie-Joseph Chénier, en parlant de cet écrit en son Tableau de la Littérature, lui a rendu une justice à laquelle ses réserves même donnent plus de prix. Placé à son point de vue modéré et purement constitutionnel de 91, l’auteur eut le mérite d’exposer les faits intérieurs et de faire ressortir ses vues sans trop irriter les passions rivales. Quant au point de vue extérieur et européen, ce livre d’un diplomate instruit et qui avait tenu en main quelques-uns des premiers fils, commençait pour la première fois en France à tirer un coin du voile que les Mémoires d’un Homme d’État ont, bien plus tard, soulevé par l’autre côté. M. d’Hauterive, l’année précédente, avait publié son ouvrage de l’État de la France à la fin de l’an VIII. Au sein de cette régénération universelle d’alors qui s’opérait simultanément dans les lois, dans la religion, dans les lettres, les publications de M. de Ségur et d’Hauterive eurent donc leur part : elles contribuèrent à remettre sur un bon pied et à restaurer, en quelque sorte, la connaissance historique et diplomatique contemporaine.

Un gouvernement glorieux s’inaugurait, avide de tous les services brillans et des beaux noms : la place de M. de Ségur y était à l’avance marquée. Successivement nommé au Corps législatif, à l’institut, au Conseil d’état et au Sénat, grand-maître des cérémonies sous l’empire, nous le perdons de vue à cette époque au milieu des grandeurs qui le ravissent aux lettres, mais non pas à leur amour ni à leur reconnaissance : une élégie de Mme Dufrenoy a consacré le souvenir d’un bienfait, comme il dut en répandre beaucoup et avec une délicatesse de procédés qui n’était qu’à lui. Il aimait, en donnant, rappeler ces années de détresse, ces journée d’humble et intime jouissance où lui-même il avait dû au travail de sa plume la subsistance de tous les siens. La première restauration traita bien M. de