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CALCUTTA.

permanent de Barrackpoor, à quinze milles sur le Gange, complètent les moyens d’attaque et de résistance dont dispose Calcutta. Le village de Barrackpoor (ville des casernes, mot barbare, anglais et hindou) est une des plus agréables stations de l’Inde ; à peine a-t-on dépassé les dernières maisons de la capitale, les cabanes un peu tristes ombragées de palmiers sauvages dont les vautours noirs brisent les feuilles à force de s’y tenir perchés tout le jour, à peine est-on hors de la portée des odeurs repoussantes qui s’élèvent de l’enclos où l’on brûle les morts, triste enceinte littéralement couverte de cigognes, de milans et de corbeaux, qu’on trotte dans une magnifique allée, entre des champs de riz et des terrains bas remplis de joncs. Les barracks sont de comfortables cabanes bien alignées, parfaitement tenues et adaptées aux goûts des cypaies, auxquels le camp est affecté ; les officiers logent à part, dans de jolies maisons de campagne, avec enclos et jardins ; on dirait une ville champêtre plutôt qu’une station militaire. D’ailleurs, les cypaies hindous et musulmans ont presque toujours leurs femmes aux cantonnemens ; la vie militaire n’exclut pas entièrement pour eux la vie de famille. C’est ce qui a lieu surtout pour les officiers européens, ainsi qu’on l’a vu récemment dans les désastres de Caboul, où des femmes dévouées à leurs maris subirent si fatalement les conséquences de cette campagne.

Pour égayer encore ce village de Barrackpoor et ne pas isoler les soldats du maître auxquels ils obéissent, les gouverneurs ont bâti là leur maison de plaisance, leur Versailles, ou plutôt leur Trianon, car le parc, coupé de ruisseaux, planté de bosquets et d’arbres verts, ressemble beaucoup à ce jardin modèle. C’est dans cette retraite que j’ai vu lord Auckland se promener un peu soucieux lorsque l’armée se dirigeait sur Caboul et la flotte sur Pé-King. Les rois et les gouvernans ne sont-ils pas souvent ceux qui jouissent le moins des magnificences que nous leur envions ? Le gardien ouvre volontiers la porte du parc aux visiteurs et les laisse examiner à loisir la volière peu remarquable, la ménagerie assez mal disposée, dans laquelle se trouvaient alors deux ours noirs du Kutch, pareils à ceux que le jardin de Paris a perdus, un jeune rhinocéros très familier, et surtout un tigre du Bengale de la plus belle venue, long de huit pieds, superbe animal dont nos petits jaguars ne sont qu’une miniature. Presque en face de la grille s’élèvent de hautes barraques ; elles servent de casernes aux éléphans attachés au service de l’armée et des officiers. Les moins dociles sont liés par un pied au tronc des