ceux qu’il y a admis. En face de l’idole dansent des bayadères cachemiriennes et bengalies, tantôt seules, tantôt par deux, alternativement. Les éventails somptueux s’agitent en cadence derrière la danseuse, que son orchestre accompagne pas à pas et ranime pour ainsi dire par les crescendo et les agitato du tambour et du rebec, à mesure qu’elle s’en va promenant ses strophes et sa pantomime tout le long des divans, où de beaux jeunes hommes nonchalamment couchés fument dans des narguilés d’or et d’argent. Aux danses succèdent, comme intermèdes, des tours de force et d’adresse exécutés par des enfans habillés en femmes. Un de leurs exercices favoris, c’est de tourner sur eux-mêmes comme des tontons, et, quand l’élan est le plus rapide, ils tirent deux sabres du fourreau, en appliquent la pointe sur leurs paupières fermées, et pirouettent avec plus de force que jamais, jusqu’à ce qu’enfin ils remettent, sans s’arrêter, la lame dans la gaîne : bien entendu qu’au moindre choc, au plus léger étourdissement, les deux pointes crèveraient les deux yeux du jongleur.
Le lendemain, dans l’après-midi, mille processions s’acheminent au bruit des instrumens vers le Gange. Selon la richesse du chef de famille, il y a derrière l’idole un nombre plus ou moins grand de serviteurs soutenant le dais ou l’escortant avec de petits drapeaux. Il s’agit de promener sur l’eau et de noyer ensuite dame Dourgâ. La statue est posée sur une litière, entre deux bateaux dont l’un porte l’orchestre et les brahmanes, l’autre le donataire et son monde. Qu’on se figure la foule se ruant vers le Gange, les cigognes surprises s’élevant au-dessus des toits, battant de l’aile au milieu de ces flots de peuple, les corbeaux tournoyant dans les airs avec des cris assourdissans, le bruit des tambours et des tam-tams, le son des cloches qu’on fait retentir devant la procession ! À mesure qu’une dourgâ flotte en quittant la rive, un hourrah la salue ; bientôt le Gange, couvert de barques et d’idoles, agité par des milliers de rames, s’émeut à cet épouvantable vacarme ; les navires sont chargés de spectateurs ; les turbans, les écharpes des tuniques de toutes couleurs s’agitent sur la rive aussi loin que le regard peut s’étendre. Le pourohita, animé par l’esprit de la divinité, exécute devant elle, avec force contorsions, des danses obscènes. Dans des barques couvertes circule toute la population mêlée, les femmes surtout, que le désordre de la fête attire sur les eaux, car les classes infirmes, même parmi les chrétiens séparés de l’Europe depuis plusieurs générations, prennent une part presque active à ces solen-