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dix mille hommes pour être complètement défendu. Pendant un blocus, ce serait une armée difficile à nourrir.

Le soir, entre l’heure de la fermeture des bureaux et celle du dîner, la population choisie de Calcutta doit faire une promenade sur l’esplanade, surtout pendant la saison moins brûlante qu’on appelle l’hiver. Là, on se trouve transporté en Europe, aux Champs-Élysées, à Hyde-Park ; à voir ces riches voitures, ces équipages splendides, on comprend que la compagnie, en rétribuant avec munificence ses employés, s’est attachée à en faire comme autant de nababs qui s’attirent le respect des indigènes. On exerce par le luxe un ascendant remarquable sur des populations serviles, habituées à obéir, et le caractère aristocratique des Anglais se plie à ravir aux exigences de ce rôle. Avec quelle précaution le civilen, le militaire même, évite de se mêler aux gens nés dans le pays, à ceux qu’une couleur tant soit peu douteuse exclut des hauts emplois et des grades élevés ! Par là, l’administration, la direction des affaires, reste entre les mains d’une classe inaltérée, qui se recrute toujours en Europe, et l’infériorité dans laquelle vivent les country borns (fils du pays) éteint chez eux toute velléité d’indépendance, de rivalité même. Au reste, cette société privilégiée a fondé dans l’Inde, et surtout à Calcutta, une foule d’établissemens utiles ; elle garde généralement la tradition du décorum et des belles manières européennes, que la mollesse asiatique tend à corrompre. Sans parler des écoles pour les orphelins et autres fondations moins désintéressées, puisqu’elles sont destinées à secourir les enfans de ceux qui sont morts au service de la compagnie, nous citerons les colléges ouverts aux indigènes, et dans lesquels ceux-ci puisent des connaissances dont un jour ils pourraient bien ne pas faire usage dans l’intérêt des maîtres. Ces natives schools ont pour but de former surtout des law officers, des licenciés en droit qui sont plus tard juges de paix, juges civils[1], et, jusqu’à un certain point, juges criminels. En 1830, on dépensa au Bengale seulement la somme de 30,000 livres sterl. pour la native

  1. Calcutta est le siége d’une cour suprême, composée d’un senior judge et de deux puisnés judges, nommés par le roi. « Dans les procès entre natifs, dit Hamilton, les juges doivent, d’après un acte du parlement, respecter les usages du pays. Quand il s’agit d’héritage ou de contrat, la règle est de suivre la loi reconnue par les parties ; si l’un des plaideurs est musulman et l’autre Hindou, on suivra la loi reconnue par le défendeur. Quant aux affaires criminelles, elles sont jugées par un jury exclusivement composé de sujets britanniques. »