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CALCUTTA.

stuc, de portiques trop vastes par lesquels le soleil entre avec toute la pompe de ses rayons, malgré les nattes sans cesse arrosées que l’on tend devant toutes les ouvertures. À ces cases plus ou moins prétentieuses et peu pittoresques, qui ne préférerait cette mosquée à peine achevée, bâtie par les neveux de Tippoo-Saheb, jeunes princes fort ennuyés de galoper sur l’esplanade, d’avoir Calcutta pour prison et un major anglais pour geôlier ? Cette mosquée élégante, plantée au coin de la grande place d’une ville ennemie, sera, avec un fastueux tombeau, le seul monument de cette dynastie musulmane du Mysore qui succomba en appelant la France à son secours !

L’esplanade bordée par les hôtels de Chowringhee et les eaux du Gange, plus spacieuse encore que celle de Madras, mais moins ombragée, s’étend depuis le Government-House jusqu’au fort William, colossale forteresse destinée à défendre la route unique par laquelle on arrive au cœur de l’Inde. Il a coûté à construire deux millions sterling, vous diront les Anglais qui savent presque aussi bien que les Américains le prix d’une église, d’une citadelle et d’un chien de chasse ; il est octogone, régulier du côté de la terre où l’on ne redoute aucune attaque, mais les trois côtés faisant face au Gange présentent des angles saillans qui menacent tous le cours du fleuve. Entre ces angles sont dressées de grosses batteries dont le feu remplacerait immédiatement celui des parties avancées que l’ennemi aurait pu esquiver en s’approchant droit devant la citadelle ; des bastions forment encore une défense respectable de ce même côté. L’intérieur est aéré, planté d’arbres, découpé en boulingrins, et ne contient que les logemens indispensables des officiers et de la garnison. On y caserne ordinairement deux régimens d’infanterie, un d’artillerie, et quelques compagnies d’ouvriers pour l’arsenal ; à ces troupes blanches on ajoute douze cents cypaies pris au camp de Barrackpoor, et qui font le service du fort durant un mois, à tour de rôle. Cette citadelle, la plus forte de toute l’Inde, bâtie d’après les principes modernes, et si basse qu’on passerait devant sans la voir, rappelle celle du Callao, où l’armée de Rodil bravait les indépendans du Pérou ; mais quel désappointement éprouve le voyageur qui, à ce mot de forteresse, évoque dans ses souvenirs le château aérien de Québec, les bastions étagés de Malte, ou même les murailles soudées par des tours qui couronnent les montagnes du pays mahratte ! Malgré son admirable construction et à cause de l’étendue de son plan, le fort William a un inconvénient bien grave, c’est qu’il a besoin de