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marchandises volées et se volent aussi les objets qu’on revendra le lendemain ; la caste des jongleurs travaille la nuit aux dépens de ce qu’elle amuse le jour. Ici, une porte ouverte laisse voir une chambre tendue de nattes ; sur l’estrade placée à l’entrée, garnie de coussins, se tient assise, les genoux au menton, la bayadère, vêtue de ses mousselines à paillettes qui brillent à la lumière des flambeaux. Immobile, la joue sur sa main ornée de bagues, le pied nu sortant de dessous la robe, juste assez pour montrer les anneaux qui entourent la cheville, la danseuse fume nonchalamment son houkka sans adresser au passant d’autre provocation qu’un regard rêveur et souvent triste, si bien qu’on croirait la sagesse du côté de l’almée quand on entend à l’autre coin du bazar la voix glapissante de quelque vieux philosophe occupé à psalmodier dans sa hutte enfumée, à la lueur d’une lampe vacillante, des vers religieux qu’il épelle dans un manuscrit huileux et indéchiffrable à faire à la fois le bonheur et le désespoir d’un savant d’Europe.

Dans la seconde catégorie, on rangerait volontiers ces rues marchandes et populeuses où affluent les produits de la terre entière et les trafiquans de tout le globe. Là, vous reconnaîtrez le Juif d’Alep à son turban aplati, l’Arabe de Moka à son aba (manteau), qu’il laisse flotter comme un doliman ; là, vous verrez le Grec en fustanelle ; l’Arménien des bords de l’Euphrate, Européen par la blancheur de sa peau, Asiatique par l’ampleur de son costume ; le Chinois vêtu de sa jaquette longue, de ses courte et larges culottes, type à part auquel ne se rapporte aucun de ces visages si variés, si ce n’est, de bien loin, celui du Malais, moins blanc, moins tartare surtout, et, de plus loin encore, les traits singuliers du Birman, aux pommettes saillantes, au regard animé, aux jambes robustes et bien tournées. Tous les peuples de la haute Asie, Boukariens, Cachemiriens, Thibétains et Népalais, sont représentés aussi dans cette masse changeante qui offre toutes les nuances de la couleur asiatique, depuis les côtes de la Syrie jusqu’à celles de la mer Jaune. Tout ce monde est arrivé là par l’océan et par le désert, à travers les fleuves et les montagnes ; ceux-ci par caravanes, bien armés, sur des chameaux ou des chevaux fringans, ceux-là avec le bâton de pèlerin à pied, de pagodes en pagodes, ou blottis sous le pont d’une barque hospitalière ; les uns pour apporter à cette foire permanente les riches produits de leurs pays et les convertir en or, ceux-là pour mendier la poignée de riz, l’invisible aumône tombée de la bourse du banyan.

Enfin, on classerait dans la troisième espèce de bazars les quar-