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CALCUTTA.

nemi commun. La puissante confédération des Mahrattes[1] venait d’enlever Salsette et la forteresse de Bassein aux Portugais, de soumettre tout le pays de l’Indus au Gange, comme pour indiquer d’avance aux Anglais que, pour être maîtres de l’Inde entière, il fallait s’appuyer sur les deux grands fleuves qui sont ses limites naturelles.

Bientôt arriva cette crise terrible qui décida du sort de la province et la fit passer sous le joug anglais précisément en mettant la colonie à deux doigts de sa perte. Calcutta enlevé par le soubab Chiragi-el-Doulab, le fort pris, les factoreries livrées au pillage[2], la garnison détruite ou prisonnière, les malheureux colons entassés sur les navires, sans asile et sans vivres, telle fut la catastrophe qui appela le colonel Clive et l’amiral Watson dans les eaux du Gange. Six mois après, en janvier 1757, Calcutta était repris ; Hoogly se rendait au futur lord Plassey, qui se vengea sur les Mogols comme la compagnie, fidèle aux principes du plus habile de ses généraux, vient de se venger sur les Afghans. Mais les Français de Chandernagor, oubliant, ainsi que les Hollandais de Chinsurah, toute considération de rivalité, étaient venus en aide aux Anglais réfugiés à bord des navires ; le colonel Clive s’empara de notre établissement, rasa les fortifications, et déporta les habitans. Peut-être crut-il payer assez le service rendu en s’abstenant de passer au fil de l’épée, comme des Mogols, ses trop généreux voisins ! Aussi, quand le jeune nabab revint se faire battre à Plassey, près de Mourchid-Abad, le 23 juin 1757, avec cinquante mille fantassins et cinquante pièces de canon, il se trouvait dans les rangs de son armée quarante fugitifs français, qui formaient, dit un auteur anglais, au milieu de ce ramassis, le seul corps sur lequel on pût vraiment compter.

Ce fut donc lord Clive qui fonda de nouveau Calcutta, commença le fort William, acquit à la compagnie le Bengale, le Bahar, l’Orissa, et donna l’exemple d’une politique peu loyale que l’on blâma d’abord, puis qu’enfin l’on jugea utile d’adopter, de suivre sans remords et sans scrupule. Le fabuleux accroissement de Calcutta s’explique par les conquêtes

  1. Elle a subsisté jusqu’en 1812 ; le traité conclu à Bassein, le 31 décembre de la même année, lui porta le dernier coup.
  2. On connaît cette tragique histoire de cent quarante-six soldats de la garnison jetés dans l’obscur cachot (the black hole) dépourvu d’air, où cent vingt-trois moururent dans la nuit, asphyxiés et collés à l’ouverture, vers laquelle ils se pressaient pour respirer.