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protester contre les femmes qui ne craignent pas de se jeter dans les plus aventureux hasards de la vie littéraire, il semble que ce soit aussi un devoir pour elle de produire et de louer les talens modestes auxquels suffiraient les encouragemens de l’amitié et les sympathies des cercles intimes. Les salons ont eu de tout temps leur place et leur influence utile dans notre littérature. Aussi, à mesure que les priviléges se dispersent à jamais sous la main du temps, à mesure que les institutions du passé tombent en ruines, il n’en faut maintenir qu’avec plus de rigueur à l’élite de la société sa part dans la direction du goût. Nous avons tous en nous l’impérieux besoin de l’égalité ; mais, s’il est un lieu où l’aristocratie soit utile encore, où elle soit surtout peu dangereuse, c’est assurément en littérature. Ne craignons pas trop que l’esprit mondain n’amène à sa suite la négligence et le laisser-aller. La grace châtiée d’Hamilton se peut citer à côté de la facilité incorrecte du prince de Ligne. Ici, au surplus, il ne s’agit que du roman, de ce roman surtout qui semble propre à notre littérature française, et qui est le triomphe des femmes : compositions charmantes où la sensibilité s’allie si bien à la grace ; genre heureux qui, chez nous, a eu ses maîtres inimitables, et qui compte encore plus d’un livre aimé entre ces deux chefs-d’œuvre, que tant d’années séparent, la Princesse de Clèves et Adèle de Sénange. Ce sont là des modèles précieux, et en quelque sorte un idéal toujours présent pour ces personnes du monde, chaque jour plus nombreuses, qui chaque jour s’éprennent d’un goût plus vif pour les lettres, un moment délaissées.

Le mouvement qui s’est manifesté cet hiver dans les salons ne s’arrêtera pas sans doute : il ne saurait trop se rattacher à ces traditions de sentiment et d’élégance qui, on peut le dire, étaient devenues nationales. Plus d’une œuvre délicate en sortirait peut-être à laquelle le public, à la fin initié, ferait assurément bon accueil. Nous serions heureux, pour notre part, d’y contribuer en quelque chose et de révéler de nouveau la poésie qui s’ignore ou le talent qui se cache.


F. de Lagenevais.