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là, près d’elle, dire du mal de la vie, blasphémer contre ses bonheurs, ne parler que de ses mécomptes, sans s’apercevoir que, dans cet échange de tristesses, s’exhalait de ces deux ames, jeunes encore, une douce sympathie qui allait ressembler au bonheur, dont elles niaient l’existence.

Enfin, quelques mois après, un soir encore, sur la lisière d’une forêt, marchant au milieu de landes incultes, à quelques pas de nos amis communs, Maurice me dit :

— Le bonheur le plus positif de ce monde n’est-il pas de faire celui d’un autre ?… N’y a-t-il pas dans la joie que l’on donne une immense douceur ?… — Se dévouer à qui sans vous n’aurait connu que les larmes de la vie, n’est-ce pas un bien préférable aux destinées les plus brillantes ? Faire renaître une ame qui se meurt ; — mieux que Dieu, peut-être, lui donner la vie… n’est-ce pas là un beau rêve ?

Je le regardai avec anxiété. Une larme brilla dans mes yeux.

— Oui ! Dit-il, demandez à Ursule si elle veut m’épouser !

Un cri de joie fut ma réponse, et je me précipitai vers la demeure de la pauvre fille.

Lorsque j’arrivai chez Ursule, elle était, comme de coutume, assise, travaillant, somnolente. La solitude, l’absence de tout bruit, le vide de tout intérêt, avaient réellement endormi cette ame. — C’était là une des premières bontés de Dieu. Elle ne souffrait plus. Les autres seuls s’apitoyaient encore sur cette immobilité d’une existence qui n’avait pas eu sa part de vie et de jeunesse. — Elle sourit en me regardant. — C’était là le plus grand mouvement de cette pauvre ame paralysée. — Je ne craignis pas de donner une violente secousse à toute cette organisation souffrante, de la frapper d’une brusque commotion de bonheur : je voulais voir si la vie n’était qu’absente ou définitivement éteinte.

Je m’assis sur une chaise devant elle, je pris ses deux mains dans mes mains, et, fixant mes yeux sur les siens :

— Ursule, lui dis-je, Maurice d’Erval m’a chargée de vous demander si vous voulez être sa femme.

La pauvre fille fut comme frappée de la foudre : à l’instant, des larmes jaillirent dans ses yeux ; son regard, à travers ce voile humide, étincela ; son sang, si long-temps arrêté, précipita son cours, répandit sur toute sa personne une teinte rosée et couvrit ses joues des plus éclatantes couleurs ; sa poitrine se souleva, livrant à peine passage à sa respiration oppressée ; son cœur battit avec violence, ses