Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/611

Cette page a été validée par deux contributeurs.
605
LE ROMAN DANS LE MONDE.

derniers rayons du soleil couchant. Il était impossible de ne pas se laisser aller à une douce rêverie en présence de cette belle nature, qui endormait à cette heure-là tout ce qui avait vie dans son sein, hors l’homme, qui veillait pour penser. C’était un de ces momens où l’ame s’attendrit, où nous devenons meilleurs, où nous sommes prêts à pleurer, sans chagrin cependant.

Je levai les yeux ; du bout de la ruelle, j’aperçus Ursule. Un dernier rayon de soleil glissait sur la fenêtre et brillait sur la tête d’Ursule. — Ses cheveux noirs en recevaient un lustre inaccoutumé. — Un peu de joie passait dans ses yeux en me regardant, et elle souriait de ce triste sourire que j’aimais tant. — Sa robe noire, à longs plis tombans, ne laissait entrevoir de toute sa personne que l’endroit où la ceinture marquait la taille. Cette taille, la maigreur la rendait bien mince, bien souple, et non dépourvue de grace. — Des violettes, ses fleurs favorites, étaient attachées à son corsage.

Il y avait dans la pâleur d’Ursule, dans sa robe noire, dans ses fleurs aux tristes couleurs, dans ce rayon de soleil couchant qui l’éclairait, quelque chose qui s’alliait harmonieusement avec la beauté de la nature ce soir-là, avec la douce rêverie que nous éprouvions.

— Voilà Ursule ! dis-je à Maurice d’Erval en appelant son attention sur la fenêtre basse de la petite maison. — Il la regarda, puis marcha, les yeux toujours fixés sur elle. — Ce regard déconcerta la pauvre fille, encore timide comme on l’est à quinze ans, et, quand nous arrivâmes près d’elle, les plus belles couleurs animaient son teint. Maurice d’Erval s’arrêta, échangea quelques paroles avec nous, puis s’éloigna. — Mais, depuis ce jour, il rentra souvent dans la ville par la ruelle d’Ursule ; — il en arriva à lui dire bonjour. — Enfin, une fois, il entra chez elle avec moi.

Il y a des ames si désaccoutumées de l’espérance, qu’elles ne savent plus comprendre le bien qui leur arrive. — Enveloppée dans sa tristesse, dans son découragement de toutes choses, comme dans un voile épais qui lui cachait le monde extérieur, Ursule ne voyait rien, n’interprétait rien, ne s’agitait de rien. — Elle resta sous les regards de Maurice comme elle avait été sous les miens, abattue et résignée.

Quant à Maurice, je ne savais pas clairement ce qui se passait dans son cœur. — Il n’avait pas d’amour, je le crois du moins ; mais la pitié que lui inspirait Ursule allait jusqu’à l’affection, jusqu’au dévouement. — L’ame de ce jeune homme, un peu exalté et rêveur, aimait l’atmosphère de tristesse qui régnait autour d’Ursule. Il venait