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vant elle, c’eût été comme parler d’un ami ingrat devant ceux qui sont oubliés de lui.

Par une belle matinée d’automne, à quelques mois de là, j’allais sortir de chez moi pour me rendre chez Ursule, quand un jeune lieutenant du régiment en garnison dans la petite ville que j’habitais, vint me voir ; me trouvant prête à sortir, il m’offrit son bras et se dirigea avec moi vers l’étroite ruelle d’Ursule. — Le hasard me fit parler d’elle, de l’intérêt que je lui portais ; et, comme le jeune officier, que j’appellerai Maurice d’Erval, semblait prendre plaisir à cette conversation, je marchai plus lentement. — Quand nous atteignîmes la maison grise, je lui avais raconté toute l’histoire d’Ursule. — Il la regarda avec intérêt et pitié, la salua et s’éloigna. Ursule, interdite par la présence d’un étranger, quand elle s’attendait à ne voir que moi, avait légèrement rougi. — Je ne sais si ce fut à cause de cet instant d’animation de son teint, ou si ce fut seulement par le désir que j’en avais, mais la pauvre fille me parut presque jolie.

Je ne pourrais dire quelles vagues pensées traversèrent mon esprit : je regardai long-temps Ursule, et puis, absorbée par mes réflexions, sans lui parler, je me levai, je passai mes mains sur les bandeaux de ses cheveux, je leur donnai une forme plus baissée sur ses joues pâles. — Je détachai un petit velours noir, noué autour de mon cou, pour le passer au sien, et je pris quelques fleurs pour les mettre à sa ceinture. — Ursule souriait sans comprendre. Le sourire d’Ursule me faisait toujours mal : il n’y a rien de si triste que le sourire des personnes malheureuses. — Elles semblent sourire pour les autres et non pour elles.

Il se passa bien des jours avant que je revisse Maurice d’Erval, bien des jours encore avant que le hasard me ramenât avec lui près de la maison grise. — Mais enfin cela arriva. C’était au retour d’une promenade faite joyeusement par plusieurs personnes ensemble. — En entrant dans la ville, chacun se dispersa ; je pris le bras de Maurice d’Erval pour me rendre chez Ursule. — C’était dénué de raison, mais j’éprouvais involontairement une vive émotion ; je ne parlais plus, je formais mille rêves. — Il me semblait impossible que le jeune officier ne devinât pas mes pensées. Je croyais, j’espérais presque qu’il comprenait mon trouble intérieur ; mais, hélas ! peut-être n’en était-il rien… Il y a tant de choses qui ne se disent qu’avec les paroles !

C’était le soir, un de ces beaux soirs d’automne, où tout est calme et reposé ; pas un souffle d’air n’agitait les arbres, que coloraient les