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mières, c’est l’originalité de l’idée principale ; de l’idée hardie autour de laquelle l’auteur (si le mot d’auteur peut s’appliquer à une œuvre si dénuée d’ambition) sait grouper ses personnages et lier sa narration. — On joue quelquefois au Théâtre-Français une agréable comédie qui s’appelle le Portrait vivant : quoiqu’une donnée bien différente et toute contraire ait servi de canevas à Madeleine, il semble que cette émouvante histoire eût pu aussi s’appeler du même nom. Bien souvent on a mis en scène des jumeaux qui se ressemblent, et c’est un lieu commun que les quiproquos des Adelphes. Rien de pareil ici. Bien qu’il y ait deux jumeaux, deux frères dont la figure et la voix se pouvaient confondre, deux frères qui sont loin l’un de l’autre, un médecin dévoué à la science qui vit en reclus dans une solitude voisine de Paris, et un officier de marine dont le vaisseau quitte brusquement les côtes de Bretagne au moment où il allait épouser Madeleine, ne craignez aucune de ces confusions plaisantes ou cruelles auxquelles on s’est complu depuis Térence jusqu’à Lope. C’est dans le cœur d’une enfant aimante que le drame se passe tout entier, et les mystères de cette resemblance ne s’échapperont qu’avec la mort de l’ame brisée de la jeune fille. Quand l’orage aura englouti le vaisseau qui portait son amant, elle se dépouillera de l’héritage du fiancé, elle viendra secrètement, dans la dernière des conditions, comme une humble servante, chercher un asile auprès de ce frère qui reste comme une image du frère absent ; elle viendra, contemplant ce portrait animé de celui qui n’est plus, reconstruire en imagination l’idéal sacré du souvenir. Mais Madeleine est belle, et cette passion qu’elle ressent, elle la donne ; ce feu qui brille en elle, comme l’holocauste à la mémoire d’un mort, elle le communique à celui qui vit, à celui dont elle a fait imprudemment la source renouvelée de ses émotions. On imagine toutes les angoisses, toutes les luttes qui suivent : placée entre ce nouvel amour, qui l’obsède et qu’elle plaint, et ce souvenir vivant qui est devenu sa vie nécessaire, elle n’a qu’à mourir en laissant échapper le secret qui lui pèse. On devine les scènes vraies et attendrissantes qu’une plume souple et tendre a su tirer de cette situation originale et difficile.

Dans une Vie heureuse, l’amour encore reparaît avec les atteintes profondes qu’il porte aux ames bien nées. Ce n’est pas la mort cette fois qui a pris son fiancé à Hélène ; mais les engagemens du cœur ont été violés, et la religion a béni les sermens faits à une autre. À ce coup fatal, la raison d’Hélène n’a pas résisté : elle est devenue folle,