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d’abordage, sorte de barrière à grandes mailles qui rend impossible l’accès des bâtimens. Ces néréides ne se laissèrent pas rebuter par un pareil obstacle ; à l’aide de ce qui pouvait faciliter l’escalade, elles grimpèrent autour des corvettes et les entourèrent bientôt d’une guirlande de beautés dans l’état de nature. Ce n’était pas un tableau sans ombre : des maladies cutanées et des ulcères assez nombreux gâtaient le charme de l’exhibition ; mais pourtant, dans le nombre, il y avait quelques créatures vraiment attrayantes, jeunes et belles. Plus blanches que les autres Polynésiennes, ces femmes ont les pieds et les mains fort petits, les formes heureuses, les yeux vifs et pleins d’expression. Aussi les matelots désiraient-ils voir tomber la barrière transparente qui les séparait de ce harem improvisé. Les capitaines fermèrent les yeux, et au coucher du soleil les communications furent permises.

Le caractère dominant de ces peuples est la rapacité. On a vu quel génie le roi Yotété sait déployer au besoin pour obtenir les objets qu’il convoite. Ses sujets et ceux de Temo-Ana, le roi actuel de Nouka-Hiva, n’y mettent pas tant de scrupules. Ils dérobent tout ce qui leur tombe sous la main. Faute de pouvoir rien trouver de mieux, on a vu des naturels plonger dans la mer pour y arracher le cuivre du bâtiment, les ferremens du gouvernail et jusqu’aux clous des bordages. Les femmes songent au larcin, même dans les momens où tout s’oublie ; on les a surprises détournant les hardes des marins et les petits objets placés à côté de leurs hamacs. Du reste, aucun instinct, aucun sentiment de pudeur n’existe chez ces créatures. Les jeunes filles disposent librement d’elles-mêmes ; elles quittent souvent, avant l’âge nubile, la case paternelle pour se livrer à leurs fantaisies. Le mariage n’existe pas à l’état d’institution ; c’est à peine une coutume. On se prend et on se quitte sans autre formalité qu’un consentement mutuel. Quelques hommes ont deux femmes, mais le plus souvent une femme a plusieurs hommes. Le plaisir est la grande affaire de ces tribus, presque la seule ; la débauche est un titre d’honneur.

Ces îles sont d’origine ignée ; les accidens du terrain portent ce caractère, et la charpente offre les reliefs élevés qui se rencontrent dans cette formation. Les crêtes sont nues ; sur les coteaux même, on ne voit guère que quelques hibiscus ou des arbres à pain, mais les versans et le fond des vallées présentent une belle végétation. De là des guerres sans fin entre les tribus ; on se dispute la jouissance de gorges fertiles, des bois de pandanus, des ruisseaux abondans, de