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ils se dégagent et poursuivent leur route ; mais souvent ils périssent enfouis et surpris par l’engourdissement. Dans ces ouragans, la ville de Pétropawlowski disparaît quelquefois tout entière ; la neige s’élève jusqu’au sommet du clocher de l’église. Pour rétablir les communications et aérer les logemens, il faut pratiquer d’énormes tranchées. Quand cette neige fine commence à tomber, les habitans ne peuvent marcher qu’en se garnissant les pieds de larges raquettes, qui par leur surface les empêchent de s’abîmer et de disparaître.

Après une station de trois semaines, la Vénus quitta ces parages pour gagner le port de Monterey en Californie. Chez quelques matelots, des plaies provenant d’accidens avaient pris un caractère scorbutique, et pour les guérir il fallait l’air du rivage. C’est à Monterey qu’on les soigna dans une maison qui servit à la fois d’ambulance et d’observatoire. La frégate manquait de biscuit ; on mit les bras du pays à contribution, on alla à la recherche des farines, même dans des fermes éloignées, pour obtenir un ravitaillement incomplet. Pour avoir de l’eau, il fallut affréter un petit navire qui alla en charger dans un établissement voisin. Telle était la situation de Monterey, capitale de la haute Californie. Des révolutions successives ont ruiné ce comptoir, jadis florissant. Aujourd’hui, il se compose de quarante ou cinquante maisons blanchies à la chaux, véritables huttes couvertes de joncs et de branches d’arbres. Autour de ces habitation point de jardins, point de cultures, le sol y est encore ce que la nature l’a fait ; l’indolence des naturels et l’inertie des gouvernemens laissent en friche un territoire qui ne demanderait qu’à produire. Quand la Vénus mouilla à Monterey, la haute Californie, bouleversée de fond en comble par soixante ou quatre-vingts aventuriers américains ou espagnols, riflemen ou rancheros, venait de se déclarer indépendante du Mexique, et telle est la force de l’état mexicain, que le pouvoir central avait dû s’incliner devant le fait accompli. Un ancien employé des douanes nommé Alvarado était gouverneur de Monterey. Il se montra fort empressé vis-à-vis de l’expédition, et envoya quelques paniers de raisin à bord de la frégate. Du reste, dans tous les troubles du haut Mexique et de la haute Californie, il faut voir la main des États-Unis, qui cherchent à s’assurer quelques ports et quelques comptoirs sur l’océan Pacifique. Les aventuriers ouvrent la marche ; mais le gouvernement les appuie avec cette persévérance qui caractérise la race des Américains du Nord. C’est ainsi que se forment peu à peu de nouveaux états qui prennent place à leur tour dans cette vaste fédération ré-