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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

prenant que le général Rosas ait échappé depuis quelques années ; car tous les budgets se soldent par un déficit énorme. Montevideo s’est du moins garanti jusqu’à présent de cette plaie du papier-monnaie, qui a porté la plus funeste atteinte à la situation économique de Buenos-Ayres, et dont on n’aperçoit pas le remède.

Quoique l’agriculture ait fait peu de progrès dans la province de Buenos-Ayres, les céréales qui s’y produisent sont à peu près suffisantes pour la consommation du pays, à condition que le pain soit un objet de luxe et une jouissance très rare pour l’habitant des campagnes. Dans la ville, l’usage en est général, bien que restreint pour chaque individu par ses habitudes et ses goûts ; mais dans la campagne, le gaucho vit presque exclusivement de viande, et surtout de viande de bœuf, qui n’y a pour ainsi dire aucune valeur, et qui ne vaut guère à Buenos-Ayres plus d’un sou la livre. Les légumes et les fruits, qui sont encore très imparfaits et peu variés, sont à peu près ceux de la France. Cependant il faut de grands soins et un renouvellement fréquent des semences et des graines pour empêcher les espèces de s’abâtardir. Le fruit le plus abondant est la pêche, dont on connaît plusieurs espèces, toutes inférieures à la pêche de France ; mais la pêche de Buenos-Ayres, qui vient naturellement dans la campagne, est au moins un fruit très sain, dont on peut manger impunément. L’oranger pousse en pleine terre, acquiert une grande taille et donne de très bons fruits. Il y a peu de pommes, et elles sont mauvaises, peu de poires, pas de groseilles ; la fraise est grosse, mais peu délicate et sans parfum. Si les légumes, comparés aux espèces similaires de France, ont en général la même infériorité, la nature du sol y est sans doute pour quelque chose ; mais il faut surtout s’en prendre à l’ignorance et à l’éloignement des habitans du pays pour la culture et le jardinage, et encore Buenos-Ayres a-t-il fait sous ce rapport d’immenses progrès depuis quinze ans, grace aux étrangers et au raffinement des goûts d’une partie de la population. Ce sont les Anglais qui ont appris à faire du beurre dans un pays où il y a tant de vaches. Tous les vieillards attestent que les besoins des habitans de Buenos-Ayres se sont singulièrement compliqués et multipliés depuis la révolution ; qu’ils ne savaient pas tirer parti de l’immense quantité d’animaux qu’ils tuaient pour leur nourriture, et que les productions de la terre sont bien plus abondantes, plus variées et meilleures qu’il y a trente ans. C’est qu’en effet le sol se prêterait à tout, si on le voulait cultiver. Il en est de même des chevaux, des bêtes à cornes et des moutons, dont la race pourrait être