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sécurité qu’un despotisme sans frein fait peser sur toutes les entreprises, sur toutes les fortunes, sur toutes les existences, ne permettrait pas même à la paix de réparer les malheurs de la guerre, et l’ancienne prospérité de Buenos-Ayres ne se rétablirait pas. Cependant le commerce européen y a trouvé un important débouché après la levée du blocus, et en a tiré en quatorze mois une masse de produits dont la valeur s’élève à plus de 6 millions de francs, s’il faut en croire des documens publiés récemment par l’administration française. Il est vrai qu’on ajoute, et avec raison, que ce chiffre représente l’agglomération des produits de plusieurs années qui n’avaient pu s’écouler pendant le blocus, comme aussi la somme des marchandises importées d’Europe a dépassé en 1841 la proportion normale pour répondre aux besoins créés par une longue interruption des relations commerciales. Quoi qu’il en soit, le commerce de l’Europe avec les provinces du Rio de la Plata par les ports de Montevideo et de Buenos-Ayres pourrait être fort considérable et fort avantageux, parce que ces contrées n’ont aucune industrie et ne peuvent tirer que de l’Europe ou des États-Unis tous les objets d’habillement, la quincaillerie, les vins, le charbon de terre, les planches et bois de construction, des briques, des dalles et autres marchandises encombrantes, en retour desquelles on exporte de la Plata des matières premières également encombrantes, de sorte que les moyens d’échange sont nombreux et faciles. La France prend dans ce commerce une part qui s’accroît chaque année ; mais, au milieu des guerres civiles, des confiscations et des massacres, la production des fruits du pays et la consommation des marchandises européennes venant à diminuer, les négocians sont exposés à faire des pertes immenses. La spéculation est découragée, les capitaux se cachent, et tous ces germes de prospérité, qui se développeraient sous l’influence de la paix et d’une administration raisonnable, sont étouffés ou retardés à chaque instant.

Les fluctuations du papier-monnaie à Buenos-Ayres sont pour le commerce une autre source d’embarras. L’argent a presque entièrement disparu et s’achète comme une marchandise ; il vaut seize, dix-sept, dix-huit fois autant que le papier qui l’a remplacé, et la piastre-forte s’est vendue jusqu’à vingt-cinq piastres-papier. Comme le gouvernement peut émettre de cette monnaie autant qu’il le veut, toutes les fortunes sont à la merci d’une nouvelle émission de papier que l’on redoute sans cesse, et à la nécessité de laquelle il est sur-