Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/509

Cette page a été validée par deux contributeurs.
503
REVUE. — CHRONIQUE.

et plus uniforme, la vie humaine en sera-t-elle plus gaie ? M. Michel Chevalier ne nous paraît pas très rassuré sur ce point, et, en attendant les merveilles du monde futur, il prend, comme nous, un grand plaisir à contempler les derniers vestiges de ce pauvre monde, si arriéré et si sauvage, mais si poétique et si divers, que la civilisation industrielle ébranle et détruit de toutes parts. Voyez M. Michel Chevalier dans la vallée de I’Ariége. Relisez le récit plein de charme (inséré autrefois dans la Revue) qu’il fait de son passage dans cette contrée pittoresque. Comme il aime les collines verdoyantes, les montagnes escarpées, les sentiers qui grimpent sur le bord des abîmes, et que l’on gravit lentement à dos de mulet ! Comme il aime cette population des montagnes, si originale, et qui présente d’une lieue à l’autre des caractères si différens ! comme il admire ces variétés de la nature physique et morale, et comme il en parle avec amour ! Quel malheur pour lui si ces belles montagnes avaient perdu tout à coup leur physionomie majestueuse et sombre, si ces noirs sapins avaient disparu, si ces sentiers étaient devenus des routes, si l’industrie, sous forme d’usines, s’était emparée de ces torrens et de ces rochers, et si le désert silencieux était devenu un pays d’ouvriers et de machines !

Mais heureusement pour les amis du pittoresque, la civilisation industrielle a peu de prise sur les montagnes : elle n’ira là qu’en dernier lieu. Heureusement aussi, pour ceux qui craignent que le monde ne devienne plus ennuyeux en devenant plus uniforme, la tendance de notre nature n’est pas favorable à l’harmonie universelle. Sur quelque point que ce puisse être, qu’il s’agisse de religion, d’art, de politique, ou même de civilisation industrielle, il y aura toujours dans le monde le plus centralisé, le plus perfectionné et le plus uni, quelqu’un qui fera de l’opposition. Cela sauvera la race humaine du prosaïsme et de l’ennui. Nous pouvons donc, en toute sécurité, sortir avec M. Michel Chevalier de la vallée de l’Ariége et de la république d’Andorre, pour le suivre dans le Languedoc, où il admire encore les traditions antiques, mais où le temps de l’industrie lui paraît arrivé. De Toulouse, nous passons à Marseille, c’est-à-dire à la Méditerranée, et à toutes les questions que soulève ce champ-clos de l’Orient et de l’Occident. Mais analyser ici les sentimens et les idées de M. Michel Chevalier, ne serait-ce pas affaiblir et décolorer son livre ?


— On s’est trop complu peut-être, en France, à ne voir la poésie allemande que sous l’aspect qui doit répugner le plus à la justesse et à la netteté de notre esprit. Devant les franches et vigoureuses créations de Goethe, de Schiller, de Jean-Paul, on se demande comment on a pu faire de la poésie germanique une éternelle et maladive rêverie. Ce préjugé ne résiste pas à une étude complète et sérieuse des créations d’outre-Rhin ; aussi est-ce avec reconnaissance qu’il faut accueillir toutes les tentatives qui ont pour but de répandre parmi nous la connaissance des lettres allemandes. On vient de traduire l’Oberon de