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M. Balfe, comme tous les compositeurs étrangers qui débutent sur notre seconde scène musicale, a pris trop au sérieux son opéra comique. Ainsi, à coup sûr, il n’aurait pas écrit pour Rubini ou Ronconi autrement qu’il ne l’a fait pour Chollet ou M. Audran, et ses cavatines pour Mme Thillon sont taillées sur le patron de la voix de la Grisi. N’importe, une première fois tout cela a réussi, par la nouveauté sans doute, et le public de l’Opéra-Comique trouve curieux de voir Mlle Darcier travestie en prima donna, et M. Audran en primo tenore. Du reste, s’il y a là un calcul d’administration, il est adroit ; le Puits d’Amour et la Part du Diable, loin de se nuire, semblaient faits pour marcher de pair dans la carrière du succès et réussir alternativement par le contraste, celui-ci représentant l’opéra-comique français dans ce qu’il a d’original, de vif et de charmant, celui-là mélodieux écho, bien qu’un peu affaibli de la musique italienne moderne.

D’intéressans débuts viennent d’avoir lieu dans l’Ambassadrice. Mlle Lavoie est une jeune élève de Mme Damoreau qui possède déjà toute la brillante vocalisation de la célèbre cantatrice. Pour le mécanisme de la voix, on ne saurait rien entendre de plus merveilleusement facile ; vous diriez la silhouette du talent de Mme Damoreau dans tout ce qu’il a d’agilité, mais aussi de délicatesse d’organe. Cet éloge renferme toute notre critique. Être à vingt ans ce qu’était Mme Damoreau à quarante, avoir, dès les débuts, cette perfection mécanique qui ne s’obtient d’ordinaire que par une certaine prédominance des moyens factices sur les qualités franches de la voix, c’est déjà trop peut-être. Voilà bien des points d’orgue qui vous rappellent presque la Persiani, des trilles à confondre Mme de Sparre elle-même ; mais les qualités de sentiment, mais le souffle, manquent, et, dès qu’il s’agit d’articuler une phrase de chant, cette voix si flexible ne porte plus. Ces qualités que nous regrettons sont-elles de celles qui s’acquièrent avec le temps ? L’avenir de la jeune cantatrice en décidera. En attendant, Mlle Lavoie réussit, et le public de l’endroit, tout ravi d’aise d’avoir retrouvé sa fauvette, lui fait chaque soir un nid de fleurs et de bouquets.


Dans le grand mouvement littéraire qui s’est accompli en France depuis vingt ans, la critique pourra revendiquer, aux yeux de l’histoire, un rang notable et nouveau, un rôle d’intervention originale, et sur certains points, on doit le dire, de direction première et d’excitation féconde. Entre les écrivains qui, dès l’abord, ont pris une part active, par les théories et par les jugemens, par l’émission préalable des doctrines esthétiques, comme par le contrôle et l’examen des œuvres dues tantôt à cette impulsion que donnait la critique, tantôt à la fantaisie même des poètes, il faut assurément compter M. Charles Magnin. Aussi appartenait-il à M. Magnin autant qu’à personne de recueillir les travaux épars et très variés qu’il avait, à diverses dates insérés