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s’était jamais montrée à lui sous cet aspect ; il s’était accoutumé à la voir entourée d’un appareil bruyant, presque d’un appareil de fête, passant auprès de lui avec le souffle du canon et les brandons de l’incendie ; sous les traits d’une femme qui se glisse en silence dans les ténèbres vers une couche où le sommeil vient de descendre, elle lui inspire une indicible horreur. Mlle Rachel nous a fait comprendre les sentimens qu’exprime Byron. Rien de plus terrible que son retour de l’appartement d’Holopherne. Son pied silencieux comme un pied de spectre, son regard où brille une immobile clarté, son bras levé par un de ces gestes d’une héroïque hardiesse, que le peintre du Jugement dernier donne à ses archanges ; tout en elle provoque l’effroi. Il semble que l’on voie marcher un funeste songe.

Ainsi donc, quoi qu’il en soit de la valeur littéraire du drame de Mme de Girardin, Judith sera pour Mlle Rachel une création digne de prendre place à côté de toutes celles que nous lui devons déjà. Maintenant, plus que jamais, nous sommes en droit d’espérer qu’il va naître enfin des œuvres en harmonie avec le talent de cette excellente actrice. Les tentatives dramatiques ne peuvent point se produire à une époque plus favorable que la nôtre. La littérature doit hériter des passions qui se retirent de la politique. Espérons que l’activité rendue aux travaux de la scène va faire redevenir vivantes et vraies ces paroles qu’on trouve dans une épître de Voltaire placée en tête de Tancrède : « De tous les arts cultivés en France, l’art de la tragédie n’est pas celui qui mérite le moins l’attention publique ; car il faut avouer que c’est celui dans lequel les Français se sont toujours distingués le plus. »


G. de Molènes.


L’Opéra-Comique est en veine de bonheur ; tout lui réussit, et voilà le Puits d’Amour qui vient comme à souhait pour occuper les jours que le succès de la Part du Diable laissait libres dans la semaine. La musique du Puits d’Amour est le premier début, chez nous, d’un compositeur anglais que recommandent plusieurs partitions fort goûtées du public de Londres. On cite de lui un Falstaff écrit pour Lablache, ainsi qu’une Fille de l’Air ou du Danube, qui n’est point sans valeur. En outre, M. Balfe chante assez agréablement le baryton, et sa femme possède une jolie voix de soprano qui figure à merveille dans les compositions du mari. Avant le jour de la grande épreuve, et tandis que les répétitions se prolongeaient à l’Opéra-Comique, le couple musical s’est produit dans le monde tout l’hiver, chantant avec autant de complaisance que de goût et d’esprit toutes les cavatines, tous les duos, toutes les irish melodies de son répertoire. Il n’en fallait pas davantage pour préluder au succès que nous voyons, et s’acquérir d’avance les suffrages du dilettantisme de la société anglaise, qui aime fort à patroniser, comme on sait. De là, le public de choix, l’élégante clientelle qui se porte aux repré-