Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/503

Cette page a été validée par deux contributeurs.
497
REVUE. — CHRONIQUE.

de Thésée s’est transformée en une veuve chaste et fière. Le visage où coulaient des larmes ardentes, mais qui disparaîtraient bientôt, on le sentait d’avance, au sourire vainqueur de Bacchus, est devenu un visage austère empreint d’une religieuse douleur. Avec Mlle Rachel, il est entré dans ce drame imprégné d’une odeur de boudoir, un véritable parfum de poésie biblique. La Judith de Mme de Girardin est une veuve à la façon des veuves de Regnard ou de Dancourt ; elle pleure bien certainement quelque honnête président à mortier, dont l’ombre respectable sera conjurée par un sonnet de Clitandre ou d’Acaste. La Judith de Mlle Rachel nous a fait songer à l’homme des champs dont parle la Bible, à ce Manassé qui mourut au temps de la moisson des orges pour être resté trop long-temps sous l’ardeur du soleil. C’est bien la simple et grave compagne d’un de ces chefs hébreux qui tenaient comme un sceptre la faucille ou le bâton de pasteur. À la scène où elle entend Dieu qui lui commande le meurtre d’Holopherne, la tragédienne a eu de magnifiques inspirations. Il est deux mots j’irai et je frapperai qui sont sortis de sa bouche tels qu’ils se seraient échappés des lèvres d’une visionnaire. On dirait que sa voix les crie du fond des abîmes d’un rêve.

Une tragédie de Judith offrira toujours, aux actrices chargées du principal rôle, un obstacle qu’un grand nombre d’entre elles ne pourront jamais surmonter. « Elle était parfaitement belle, dit la Bible en parlant de la veuve de Manassé. » Plus loin on lit encore au verset 4 du chapitre X : « Dieu même lui ajouta un nouvel éclat. » Puis au verset 7 du même chapitre (nous tenons à rivaliser d’érudition avec don Calmet) : « Ils furent dans le dernier étonnement en la voyant, et ils ne pouvaient assez admirer son extraordinaire beauté. » Ainsi les livres saints prescrivaient à Mlle Rachel d’être belle. Nous trouvons qu’elle s’est fort bien acquittée de ces commandemens. Le costume sous lequel elle paraît dans la tente d’Holopherne est digne d’avoir été composé par un grand maître. Le pinceau de Paul Véronèse n’en eût pas autrement nuancé les couleurs. Pour l’acteur ainsi que pour le peintre le costume est d’une importance extrême, car une impression morale doit naître de certains plis et de certaines nuances ; or, je ne sais point ce qu’on pourrait choisir avec plus d’intelligence, comme vêtement d’une Judith, que cette robe d’un rose vif, attrayant, radieux, comme les voiles même de l’aurore, sur laquelle est jeté, dans une pensée de contraste, un manteau d’un pourpre sanglant. Ainsi vêtue, Mlle Rachel est bien l’éclatant fantôme que Dieu envoie pour perdre Holopherne. Dès les premiers pas qu’elle fait vers lui on sent la colère céleste qui s’est incarnée dans le corps d’une femme.

Vous souvenez-vous de ce chant du Corsaire où le héros de Byron attend au milieu de la nuit, au fond d’une galerie silencieuse ouverte aux brises de la mer, Gulnare sa libératrice, qui l’a quitté pour aller frapper dans son sommeil le pacha Seyd ? Quand il voit tout à coup dans l’ombre la blanche apparition qui lui apprend que le meurtre est consommé, son ame, où sont ensevelis cependant, d’habitude muets et glacés, les souvenirs de tant de crimes, s’ouvre aux mouvemens soudains d’une terreur infinie. La mort ne