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tourner, et sur laquelle la force des choses nous ramène sans cesse. L’opinion des hommes bien informés reste, malgré les opérations préliminaires du congrès, conforme à nos prévisions premières. Le régent sera maître de la nouvelle législature, et ne se trouvera pas dans le cas de faire usage de cette force militaire qu’il lui suffira de montrer en quelque sorte dans le lointain. Le projet d’adresse suggéré au sénat par un ennemi en quelque sorte personnel de la France, M. Marliani, constate que ce corps ne se refusera pas à partager même les passions les plus injustes du général Espartero. Nous ne croyons pas, quant à nous, que M. le ministre des affaires étrangères ait manqué aux égards dus à une puissance alliée en déclarant publiquement, du haut de la tribune, quelles conditions de sécurité et d’honneur il attachait dans l’avenir au maintien de cette alliance. Il n’est pas un ministre français qui pût avoir la pensée de s’en départir, et dans les affaires de la Péninsule il y a bien moins à reprocher au pouvoir d’avoir trop dit et trop fait depuis dix années, que de s’être laissé traîner à la remorque des évènemens sans les dominer par un système et une résolution énergique. La manifestation du sénat n’en reste pas moins un fait fort grave, par quelque vue secrète qu’elle soit inspirée ; elle fait comprendre l’urgence de voir enfin la France représentée sur le théâtre où s’agitent tous ses intérêts de puissance, d’honneur et d’avenir. Si le cabinet n’y songeait pas, il est à croire que la session ne se terminerait pas sans une manifestation parlementaire : la chambre doit au pays et à elle-même de ne pas paraître abdiquer dans l’une des plus grandes questions du temps. Elle n’en a pas le droit ; nous espérons qu’elle n’en aura pas non plus la volonté.


THÉÂTRES.

La quinzaine qui vient de s’écouler a été féconde en émotions littéraires. Deux évènemens dramatiques annoncés depuis long-temps ont eu lieu coup sur coup, une tragédie qui soulève les plus graves questions de la poétique, et une nouvelle étude de Mlle Rachel. Ou a joué à l’Odéon la Lucrèce de M. Ponsard, et aux Français la Judith de Mme de Girardin.

Le succès de Lucrèce a été complet ; il est certain que, dans cette pièce, on trouve toujours de fortes études, et souvent un charme de langage auquel nulle oreille ne peut être insensible. Cette poésie antique est éternelle, et ses destinées sont merveilleuses. Toute œuvre qu’un de ses rayons anime exerce soudain un indicible attrait ; c’est à elle qu’il faut donner toutes les épithètes rassemblées autour du nom de Vénus. Elle est victorieuse, elle est féconde, elle fait aimer, victrix, alma, dulcis. M. Ponsard a été assez heureux pour