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REVUE. — CHRONIQUE.

ministère sérieux lorsque d’une part on abandonne sans combat le principe de l’enquête électorale aux exigences de l’opposition, lorsque de l’autre on recule sur tant de questions soulevées par le pouvoir lui-même, depuis les traités de commerce jusqu’aux ministres d’état.

Mais voici venir un autre intérêt sur lequel un ministère anglais ne capitulerait point à coup sûr, après avoir solennellement proposé une résolution aussi hardie que celle à laquelle s’est arrêté le cabinet du 29 octobre ; voici une mesure qu’on n’hésiterait pas un moment, au-delà de la Manche, à imposer à ses amis comme condition formelle de son maintien aux affaires. La commission des sucres a déposé son rapport, et cet important objet va enfin arracher la chambre à l’atonie qui l’épuise et l’énerve. On sait que la majorité, dont M. Gauthier de Rumilly est l’organe, refait de fond en comble le projet du gouvernement, et qu’elle substitue à l’interdiction de la culture indigène un maximum de production au-delà duquel l’impôt s’élèverait dans une progression déterminée. De son côté, la minorité, représentée par M. H. Passy, a consigné au rapport une opinion qui ne diffère pas moins radicalement du projet ministériel, puisqu’elle réclame l’égalité d’impôt sur les deux sucres au droit de 49 fr. 50 c. dans une période de trois années. Voilà donc une commission où, par une étrange bizarrerie, M. Berryer, député de Marseille, se trouve avoir défendu seul la pensée du gouvernement, et voici la chambre appelée à choisir entre deux projets également désavoués par le cabinet !

Ce fait suffit pour révéler et l’indiscipline des partis, et le peu d’autorité des hommes politiques dans les questions d’intérêts matériels, sur lesquels on affichait naguère la prétention de concentrer toute l’action gouvernementale. Nous abordons enfin de front ces problèmes redoutables : la loi des sucres est le premier pas dans une carrière vaste et nouvelle ; c’est la première tentative sérieuse pour organiser ou dominer des intérêts, des industries et des habitudes opposés. Écartée de la diplomatie par la fatalité qui paralyse son action extérieure, sortie de la politique générale par le dégoût profond qu’elle lui inspire, la France va donc entrer dans cette ère toute pratique où on la convie depuis si long-temps à se confiner. Nous allons voir si le pouvoir y gagnera quelque chose en influence et en durée, et si son œuvre sera plus grande, plus facile et plus féconde.

On a triomphé successivement du compte-rendu et des sociétés secrètes, des émeutes et de la coalition parlementaire. Sera-t-il aussi facile d’avoir raison des intérêts ? Nous en doutons fort, et nous attendons le pouvoir à une très prochaine expérience.

Plus ces intérêts se sont développés dans une liberté que la loi n’a jusqu’ici songé ni à régler, ni à contenir, et plus il est devenu difficile de leur imposer des sacrifices. Il semble d’ailleurs que l’imprévoyance des divers gouvernemens qui se sont succédé ait tout fait pour aggraver une situation que la libéralité même de la nature envers la France a rendue pour nous plus difficile que pour tous les autres peuples de l’Europe. Quand la grappe et l’olive mû-