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long-temps, qu’il ne se modifie pas sous l’influence de causes intérieures ou extérieures faciles à voir, et que, si même son existence se prolonge, il produise tous ses effets dans un pays qui a tant de rapports avec l’Europe, et que les grandes nations européennes ne peuvent pas entièrement abandonner au mal qui le dévore. Quant au fond des choses, à part ce résultat passager des circonstances, Buenos-Ayres n’offre pas moins d’espérances que Montevideo aux amis des lumières et de l’humanité. La population est laborieuse, active, entreprenante ; l’esprit est vif, le caractère est aimable, la liberté dont les femmes y jouissent n’y amène pas plus d’irrégularités et de désordres que dans le sein de sociétés plus sévères en apparence, et qui affichent de plus grandes prétentions à une haute moralité. Il règne à Buenos-Ayres, comme à Montevideo, une égalité vraie entre toutes les classes de la population, qui a au moins l’immense avantage de ne laisser aucune prise aux préjugés de caste et d’effacer jusqu’aux conséquences ordinaires de l’inégalité des fortunes. En effet, il y a peu de sociétés dans lesquelles, par suite des révolutions politiques et des chances du commerce, les différentes branches d’une même famille soient plus inégalement partagées ; mais on est loin de se désavouer pour cela, et, comme il n’y a jamais eu d’aristocratie à Buenos-Ayres, tous les blancs, quelle que soit leur fortune, sont pour ainsi dire au même niveau. Bien peu s’élèvent au-dessus, soit par l’éducation, soit par les habitudes sociales. Le commerce et l’exploitation des troupeaux dans la campagne servent d’occupation commune à tous, et donnent un cachet uniforme à tout ce qui s’appelle la gente décente. Si les hommes se rapprochent par la similitude de leurs occupations, et par la facilité de caractère qu’ils tiennent des Espagnols, les femmes ne se rapprochent pas moins par leur bonté naturelle, par l’esprit de famille qui est encore plus développé chez elles, et parce que, pour la plupart de celles qui ne sont pas sorties du pays, il n’y a pas une grande différence entre le plus ou le moins d’instruction qu’elles ont pu recevoir. C’est ce qui est maintenant plus sensible que jamais dans la société du parti dominant, où l’on craindrait de mécontenter le maître en manifestant des goûts qu’il n’a pas. Mais l’esprit naturel, l’intelligence et les dispositions du plus grand nombre se prêteront à tout, dès que le ressort ne sera plus comprimé comme il l’est.

Il suffit d’un séjour de quelques mois à Buenos-Ayres pour comprendre l’attrait que cette ville avait autrefois, et qu’elle a encore, bien qu’à un moindre degré, pour les étrangers. On les y accueille