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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

d’exécuter l’arrêt et d’en recueillir les fruits. Nommé visir de Bosnie, il partit pour Travnik, arriva le soir au sérail de Vedchi, qu’il combla de félicitations et de témoignages d’amitié ; le lendemain, dès l’aurore, il faisait circuler parmi la garnison et lire à haute voix dans toutes les rues de la ville le firman qui déposait Vedchi et le rappelait à Constantinople. Forcé de partir en hâte, le maître déchu laissa sous le scellé ses papiers, ses effets, toutes les riches dépouilles qu’il avait enlevées aux Bosniaques. Ses principaux partisans, arrêtés comme lui au moment où ils s’y attendaient le moins furent tous envoyés devant le conseil du sultan à la grande joie des Bosniaques, tant musulmans que chrétiens. Un profond mystère plane encore sur les causes de la disgrace de Vedchi. Avait-il conspiré avec une cour voisine pour livrer la Bosnie aux étrangers ? Cherchait-il, nouveau Miloch, à fonder, à l’aide des raïas serbes, sa propre souveraineté ? Ou bien était-il révolté des mesures intempestives du divan impérial, et, se sentant un génie supérieur, voulait-il, comme le vice-roi d’Égypte, diriger la réforme sociale dans un sens plus conforme à la nature de l’islamisme et aux vrais intérêts des Osmanlis ? Ce sont autant de questions auxquelles on ne peut encore répondre. Ce qui paraît clair, c’est que, dans l’insurrection domptée par ce visir, les Bosniaques musulmans ont pour la première fois entrevu comme possible leur retour à la religion du Christ et leur coalition avec des chrétiens. De plus en plus opprimés, ils tournent leurs regards vers les régimens serbes de Hongrie, et souvent dans leurs piesmas, ils les appellent à leur secours. Appel inutile ! la diplomatie autrichienne est trop habile pour se permettre en Bosnie une intervention prématurée qui donnerait aux Russes des raisons plausibles d’envahir le Danube. La désorganisation des Bosniaques ne profitera donc pour le moment à personne, si ce n’est aux Turcs d’une part et de l’autre aux ouskoks alliés des Monténégrins. C’est un curieux épisode dans l’histoire moderne de l’Orient, que la formation de ces tribus d’ouskoks, hommes libres de l’Hertsegovine qui, retranchés dans leurs montagnes et habitant des villages ou plutôt des camps inaccessibles, défient la puissance ottomane, dont ils attaquent incessamment les petites garnisons dans leurs marches d’une forteresse à l’autre. Plusieurs de ces tribus libres font remonter leur indépendance à la fin du XVIIIe siècle. Ayant reçu de la Porte des firmans qui ratifiaient les droits conquis par leur épée, un certain nombre de capitaines ouskoks se sont réconciliés avec les pachas, et forment une espèce d’armatole, milice chrétienne qui se charge de la police des mon-