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pitale de venir à Travnik se justifier devant lui. Le corps des begs et des spahis, dont une paix assez longue avait cicatrisé les blessures, accepta le défi, et après avoir invité le sultan à juger dans leur cause et à les recevoir sous son ombre, n’obtenant qu’une réponse évasive, ils marchèrent, en août 1840, au nombre de vingt mille, sur Travnik. Le visir fut chassé de sa résidence, et dut fuir dans les montagnes ; mais, sans se laisser abattre, il rallia vite autour de lui tout ce qu’il avait de troupes régulières dispersées dans la province, marcha contre les rebelles, et quoique son nizam ne fût composé que de quatre-mille hommes, il n’hésita pas à engager, au village de Vitez, une action générale. Les spahis, après quatre heures d’un combat désespéré, se retirèrent, laissant mille morts sur la place, et allèrent s’enfermer à Saraïevo, que le visir investit aussitôt. La ville, dénuée d’approvisionnemens, dut se rendre à son terrible vainqueur, qui, resté sous sa tente, cita devant lui le principal chef de la révolte, le décapita de ses mains, et fit exécuter aux portes même de la ville les huit ou dix voïevodes les plus coupables à ses yeux. Tous les begs épouvantés prirent la fuite, et se réfugièrent, les uns dans les forêts, les autres chez les ouskoks d’Hertsegovine ; les plus riches passèrent en Autriche, et Raguse accueillit, entre autres hauts personnages, l’inspecteur-général des mosquées de Saraïevo. Pour punir les intentions hostiles qui animaient cette émigration, Vedchi brûla tous les konaks des émigrés, et, en outre, imposa d’énormes amendes aux chefs restés dans le pays. Pendant que quinze cents hommes du nizam, envoyés par ce visir dans la Croatie turque, achevaient d’anéantir les derniers restes de l’insurrection, lui-même, après avoir accablé d’avanies Saraïevo, laissait mille Albanais pour surveiller cette ville du haut du Goritsa, et s’en retournait tranquillement dans son fort de Travnik. La vue des capitaines prisonniers envoyés par Vedchi à Constantinople et le récit de sa brillante victoire provoquèrent l’enthousiasme du divan, qui lui décerna un sabre d’honneur et le combla d’éloges publics.

La fortune de Vedchi fut de courte durée. Les Bosniaques opprimés envoyèrent au sultan une députation suppliante, et présentèrent leur visir comme un tyran si cruel, qu’ils aimaient mieux, disaient-ils, se faire chrétiens, s’il le fallait, que de rester sous sa domination. Un haut commissaire impérial partit pour aller en Bosnie s’enquérir des griefs du peuple et de la conduite de son chef. Le résultat de cette enquête fut une sentence de déposition que le divan prononça à huis-clos, selon son usage. Le pacha de Belgrad, Hosrev, se chargea