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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

de la Plata, estime que la population de la ville de Benos-Ayres devait être, en 1839, de deux cent mille ames, dont quatre-vingt mille à peu près dans la ville. Le peu de durée de notre séjour à Buenos-Ayres ne nous a pas permis de vérifier cette évaluation, que nous tenons pour suffisamment exacte. Néanmoins, depuis 1839, la ville et la campagne ont certainement perdu ; l’aspect de la ville ne laisse guère de doutes là-dessus, et c’est à peine si, dans toute l’étendue d’une aussi grande cité, nous avons remarqué trois ou quatre maisons en construction. Quant aux étrangers, ils sont relativement, peut-être même absolument, moins nombreux à Buenos-Ayres qu’à Montevideo. La plupart des Basques qui arrivent par milliers dans la Plata, se fixent sur la Bande Orientale. Nous emprunterons à l’ouvrage déjà cité de M. Woodbine Parish le chiffre des Anglais inscrits au consulat d’Angleterre, depuis 1825 jusqu’en 1831. Il était de 4,072, femmes et enfans compris, et l’on évaluait à un millier le nombre de ceux qui avaient négligé de se faire inscrire. Le nombre des Français ne doit pas être inférieur. Il y a de plus une population sarde assez considérable et non moins d’Américains du Nord. Les Espagnols d’Europe sont très nombreux ; mais ceux qui ne réussissent pas à se faire passer pour Gibraltarins, c’est-à-dire sujets anglais, sont considérés comme fils du pays et en portent prudemment les insignes. On les a d’ailleurs cruellement persécutés dans toutes les crises politiques. Le malheureux négociant dont le cadavre encore palpitant a été brûlé par des cannibales au mois d’avril dernier, était un Espagnol d’Europe.

Ce que nous avons dit de la société de Montevideo peut s’appliquer en général à celle de Buenos-Ayres. Rameaux issus d’une souche commune, parlant la même langue, professant la même religion, pénétrés à un égal degré par l’émigration étrangère, affranchis presque en même temps de la domination espagnole, adonnés aux mêmes travaux, exploitant les mêmes sources de richesses, sous le même soleil et sur les bords du même fleuve, unis par de nombreuses alliances et par de fréquentes associations d’intérêts entre les individus, les deux peuples en étaient arrivés, il y a quelques années, au même degré de civilisation. Il est vrai que maintenant Montevideo semble un peu plus avancé, parce que Buenos-Ayres est sous un régime qu’on ne calomnie pas en l’appelant barbare, et que, si ce régime se perpétuait, le caractère des populations de la rive droite de la Plata en éprouverait une altération profonde. Mais il est impossible qu’un pareil régime dure encore bien