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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

la place de Vouseïne, dont la jeunesse portait mal le poids d’une telle dignité. Le vieux guerrier se laissa séduire et prit publiquement le parti de la réforme, avant même que l’armée se fût dissoute. Devinant en lui un traître, Vidaïtj voulait l’attaquer et le tuer ; mais Vouseïne retint le bras de son ami. Dès-lors le gouverneur de Touzla ne fut plus occupé qu’à miner sourdement la popularité du héros.

La retraite des Bosniaque était tout ce que le grand-visir désirait. Ayant ainsi assuré ses derrières, il envoya soixante mille soldats dévaster le nord de l’Albanie, et Moustapha, cerné dans sa forteresse de Skadar, dut se rendre après avoir soutenu un bombardement qui dura trois semaines.

Débarrassé de Moustapha, Rechid tourna contre les Bosniaques l’action dissolvante de ses intrigues. Il vint en personne établir son camp à Voutchitern, dans la plaine de Kossovo, d’où il pouvait dominer et menacer à la fois la Bosnie et les Albanies. Cependant Vouseïne, qui se croyait le visir légal des Bosniaques, s’était formé une cour visirale à Travnik, et se faisait nommer non plus le dragon, mais le héros de la Bosnie. La secrète jalousie que les autres chefs lui portaient avait été soigneusement fomentée par l’astucieux Rechid. L’inébranlable amitié de Vouseïne pour Ali-Vidaïtj lui avait aliéné le rival et le successeur d’Ali dans Zvornik. Le pacha de Touzla et les nahias du nord étaient réformistes ; celles du midi, sans cesse menacées par les chrétiens libres et les ouskoks d’Hertsegovine, penchaient aussi pour le sultan. Enfin la ville même de Saraïevo, sentant que son commerce est étroitement lié à celui de Constantinople, ne resta pas sourde aux insinuations du grand-visir. Alors un firman impérial vint tout à coup frapper d’effroi Vouseïne, en nommant, à sa place, visir de Bosnie, un étranger, Kara-Mahmoud, qui se rendit à son poste avec 30,000 hommes, dont 12,000 appartenaient au nizam. Quoique naturellement doux, Vouseïne avait dû faire exécuter récemment à Saraïevo plusieurs agas séditieux ; les ennemis, exploitant cette circonstance, le peignaient au peuple comme un tyran, et il ne put envoyer que 2,000 volontaires à la rencontre de son rival.

Les deux avant-gardes se rencontrèrent sous le grad de Kossovo, qui semble destiné fatalement à voir s’accomplir dans sa plaine toutes les luttes décisives entre les Serbes et les Turcs. Mais cette fois les Osmanlis combattaient quinze contre un ; après une résistance acharnée, les Bosniaques succombèrent et ceux, en petit nombre, que le nizam fit prisonniers furent envoyés dans les bagnes de Stambol. Le mous-