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nation de cette aristocratie indisciplinée pouvait enfin se justifier vis-à-vis de l’empire et même de l’Europe. Le sultan niveleur ne fit pas attendre sa sentence ; elle ne s’étendit d’abord qu’aux janissaires de Constantinople, en majorité Bosniaques, et qui, par leurs révoltes continuelles, n’avaient que trop mérité d’être punis. Mais la justice dégénéra cette fois en une atroce vengeance ; aussi tous ceux des janissaires que moissonna l’artillerie de Mahmoud furent-ils regardés comme de saints confesseurs, et ceux qui purent échapper, s’étant réfugiés en Bosnie, y devinrent l’objet de la vénération populaire. Les nouveaux régimens dressés à l’européenne portaient les ceinturons du sabre et de la giberne à la française, c’est-à-dire croisés sur la poitrine ; or, en dialecte bosniaque, croiser (kerstiti) signifie aussi baptiser. « Quoi ! disaient les Bosniaques, nous laisser baptiser ! Dans ce cas, à quoi bon un sultan ? le tsar russe ou le césar de Vienne seront pour notre baptême de meilleurs parrains qu’un fils d’Othman. » L’indignation était si universelle, que le visir Hadchi-Moustapha et tous les commissaires turcs alors en Bosnie furent honteusement chassés, et durent s’enfuir par la Save à Belgrad sans aucun cortége.

En 1827, Mahmoud éleva au visirat de Bosnie le pacha de Belgrad Abdourahim. Cet homme d’une constitution maladive, mais d’un dévouement et d’une audace à toute épreuve, aidé par son ami le futur prince Miloch, arma quelques centaines de momkes, et entra avec eux en Bosnie, où il réussit à gagner à sa cause le jeune Vidaïtj, rentré après la guerre dans sa capitainerie héréditaire de Zvornik. Une fois introduit dans cette place, clé de la Bosnie du côté du nord, le visir lança hardiment la proclamation suivante : « Mahométans bosniaques, je vous apporte de loin le baiser de la paix et de l’unité fraternelle. Oubliant vos folies, et désirant ouvrir vos yeux à la lumière, je viens vous faire connaître les ordres sacrés du plus puissant des maîtres. Si vous vous montrez obéissans, j’ai le pouvoir de pardonner vos fautes. Choisissez donc entre la vie et la mort ; réfléchissez mûrement, pour ne pas avoir à vous repentir. »

Toutes les réflexions des spahis bosniaques étaient faites ; depuis le massacre des janissaires, ils lisaient clairement dans leur avenir. Aussi les réformistes et les amis de Dchelaloudine, rentrés dans le pays avec le nouveau visir, furent-ils partout reçus à coups de carabine. Alors les amis les plus influens d’Abdourahim, les frères Dchindjafitj, s’avancèrent avec un corps de troupes turques, disciplinées à la franque, pour reprendre possession de leurs foyers à Saraïevo. En vain les spahis et leurs cliens se battirent tout le jour aux portes et