Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/459

Cette page a été validée par deux contributeurs.
453
LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

des partisans de ses réformes. La famille Dchindjafitj, de Saraïevo, se déclara la première pour le visir philosophe. Cette conquête en entraîna d’autres. Enfin Dchelaloudine, levant le masque, osa faire égorger les membres les plus redoutables de l’opposition, en commençant par Fotchitj-Achmet, de Saraïevo, et par les begs de Derventa et de Bania-Louka ; puis, ayant emporté d’assaut les forteresses de Mostar et de Srebernik, il en massacra les capitaines. La république de Saraïevo, unie par les liens les plus intimes à l’odchak (conseil de famille des janissaires de Constantinople), auquel elle fournissait plus de recrues qu’aucune autre ville, lui adressa les plaintes les plus véhémentes contre le nouveau visir, et l’odchak se hâta de l’accuser près du sultan. Mahmoud joua l’indignation et prononça la destitution du visir ; mais on n’envoya aucun successeur à Dchelaloudine, qui, ne faisant sans doute qu’exécuter les ordres secrets de son maître, ne se relâcha en rien de ses rigueurs. Cette circonstance ne devait pas manquer d’ouvrir enfin les yeux aux Bosniaques, et de les éclairer sur les vraies intentions du divan. Aussi, lorsqu’en 1820 l’insurrection des Grecs ouvrit une ère nouvelle pour les Gréco-Slaves, le peuple bosniaque, par son inertie inaccoutumée, prouva à la Porte de quelles dispositions il était désormais animé envers elle.

Les Monténégrins crurent le moment favorable pour tomber sur cette population démoralisée, et se mirent à ravager la Bosnie dans tous les sens. Pressés entre un tyran intérieur et l’ennemi du dehors, les malheureux Bosniaques se décidèrent enfin à s’unir à Dchelaloudine, qui mena une forte armée contre le Monténégro ; mais les spahis se battaient à regret, et le visir les ayant entassés dans les défilés de la Moratcha, ils furent complètement défaits. Alors leurs sarcasmes sur la fuite précipitée de Dchelaloudine furent si amers, que l’ascète vengea la Bosnie en s’empoisonnant de ses propres mains (janvier 1821). À la mort de leur visir, ceux des Bosniaques qui avaient embrassé la cause de la réforme et du sultan durent ou émigrer ou s’armer pour se défendre. Le pays tomba dans une affreuse anarchie ; les tribus, les cités, souvent les familles, se battirent entre elles ; le chaos social et l’acharnement des partis devinrent tels, qu’on ne connaît pas même de nom l’impuissant visir qui succéda à Dchelaloudine.

IV.

La Bosnie était arrivée à ce point de dissolution morale que le machiavélisme turc attendait depuis long-temps. L’entière extermi-