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position ; il vint lui barrer la route avec sept mille fantassins et deux mille cavaliers (août 1806). Se fiant sur la supériorité numérique de ses troupes, Kouline le somme de rendre ses armes : — Viens les prendre, lui répond le chef serbe, sans se douter qu’il répétait un mot classique. Pendant deux jours, les Bosniaques assaillirent en furieux le camp retranché des chrétiens ; enfin, la troisième nuit de cette lutte acharnée, George-le-Noir envoie secrètement sa cavalerie dans la forêt voisine, avec ordre de prendre à dos l’ennemi quand il commencerait son troisième assaut. À l’aurore, les musulmans attaquent de nouveau ; les begs les plus illustres de la Bosnie, à la tête de leurs vassaux, portaient eux-mêmes en avant leurs bannières féodales, glorieusement transmises de père en fils depuis le moyen-âge. Les Serbes chrétiens les laissèrent arriver sous les canons de leurs carabines, pour abattre d’une première décharge toute cette rangée d’immortels ; il n’en resta pas un debout. En même temps la cavalerie, s’élançant de ses fourrés, se jeta sur les derrières des assaillans. Cette bataille décida du sort de la noblesse bosniaque, dont la fleur fut moissonnée. Parmi les morts furent le mollah de Saraïevo et les deux pachas Mehmet de Zvornik et Sinane de Derventa. Les fuyards, en se précipitant vers la Drina, furent cernés dans la forêt du Kitog par les paysans et les haïdouks, qui en exterminèrent un nombre considérable. Là le jeune Miloch Stoïchevitj, voïevode de Potserie, délivra sa mère que l’ennemi emmenait comme esclave, poursuivit le général en chef Kouline, le tua de sa propre main, et s’empara de son sabre, que tous les Serbes croyaient enchanté.

Sur un autre point du pays, les chrétiens n’étaient pas moins heureux. Les quarante mille Albanais commandés par le pacha de Skadar avaient, en quittant Nicha, suivi la Morava bulgare, qui, pour aller se jeter dans la Morava serbe, forme une large vallée, unique ouverture des montagnes de Serbie du côté de l’orient. Pour garder cette clé du pays, Pierre Dobriniats avait élevé à la hâte les retranchemens de Deligrad ; il s’y défendit six semaines contre toutes les forces albanaises. Ses continuelles sorties étaient combinées avec les attaques des haïdouks de Glavach et de Mladene, qui tombaient chaque jour comme une nuée d’oiseaux de proie des montagnes voisines sur les assiégeans. Enfin, totalement désorganisée et réduite à quelques milliers d’hommes, l’armée d’Ibrahim se débanda.

Ayant ainsi repoussé deux formidables invasions, les Serbes chrétiens, en 1807, purent demander aux Bosniaques musulmans, dans leurs propres foyers, un compte sévère de leurs déprédations.