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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

ou la Drina et la Matchva. Sans égard pour la supériorité numérique des Bosniaques, le haïdouk Stoïane Tchoupitj de Notjaï assaillit leur avant-garde au moment où elle débouchait de la forêt du Kitog dans la plaine de Salatch, et l’extermina presque tout entière, malgré la bravoure du vieux Mehmet et d’Osmane-Djoura, qui la commandaient. Tchoupitj fut depuis lors surnommé par les siens le dragon de Notjaï. Le gros de l’armée bosniaque, sous le cruel séraskier Kouline-Kapetane, apprenant le massacre de son avant-garde, résolut d’éviter toute bataille rangée, et se divisa en petits corps pour ravager la Matchva et faire une guerre de détail ; les Albanais, sur d’autres points du territoire, suivirent cet exemple ; les pachas de Bulgarie les soutinrent. Plus de cent mille guerriers se ruaient en ce moment sur une population d’insurgés qui, en y comprenant les enfans et les femmes, ne comptait pas trois cent mille têtes. Désespérés de voir accourir d’autant plus d’ennemis qu’ils en tuaient davantage, les révoltés voulaient se soumettre : Jacob Nenadovitj envoya à Kouline son neveu Prota et Tchoupitj pour parlementer ; Kouline retint ces deux braves prisonniers et se refusa à toute négociation. Dès-lors les paysans commencèrent à déserter, la Save se couvrit de fuyards, qui passaient en Autriche avec leurs femmes et leurs enfans ; ceux qui restaient, voulant se rendre propice le farouche Kouline, apportaient sur la route des vivres à son armée, en appelant les Bosniaques leurs sauveurs ; les chefs de l’insurrection étaient réduits à se cacher dans les forêts. La Serbie allait être subjuguée sans les haïdouks. Accoutumés à braver la mort, n’ayant rien à perdre et tout à gagner à la liberté, les haïdouks voulaient encore la guerre, et bientôt ils prouvèrent quels services des brigands patriotes peuvent rendre à un pays menacé du joug. Joyeux de mourir en défendant leur patrie, ces hommes de fer occupaient tous les défilés, chassaient des villages ceux des spahis bosniaques qui s’y étaient installés en maîtres, empêchaient la fuite des paysans, et les forçaient de les suivre sur les montagnes où George-le-Noir, seul voïevode qui ne désespérât pas de la victoire, ralliait les fugitifs. George était fortement secondé par son pobratim Katitj, Serbe de Hongrie, qui, pour venir le joindre, avait renoncé à sa pension de capitaine en Autriche. Avec quinze cents haïdouks, Katitj se mit à harceler Kouline de mille manières, défit entièrement à Petska le corps de Hadchi-Beg, descendu de la forteresse de Sokol, et obligea enfin l’armée ennemie à se rapprocher de Chabats, d’où elle pouvait encore dominer le cours de la Save. George-le-Noir voulut lui interdire à tout prix cette dernière